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Corrège le bois sacré de Jupiter, Nicolas Poussin le déluge, Dominiquin les campagnes bibliques de Sodome. Pourquoi le peintre n’irait-il pas aujourd’hui au-delà de ces horizons ?

La science lui fournirait le fond, et peut-être serait-ce encore un grand moment pour les arts que celui où l’imagination, mariée à la science, rendrait la vie aux choses mortes, c’est-à-dire aux âges principaux dont se compose l’histoire de la terre. Si Michel-Ange a montré le monde à son dernier moment dans la lueur livide du jugement dernier, pourquoi cette même puissance, l’imagination, n’évoquerait-elle pas sur la toile le monde à son berceau, dans les lueurs torrides des premiers jours ? Pourquoi ne reverrait-on pas la solitude des forêts premières? Croit-on que l’épanouissement du monde floral ne dirait rien à l’artiste, et qu’il n’y aurait pas de place pour un Paul Potter au milieu des troupeaux nouvellement apparus de l’Atlantide? Croit-on que les Alpes, couronnées encore de roseaux, surgissant à peine du fond des mers et rougies pour la première fois par la lumière du soleil, seraient indignes d’exercer le pinceau d’un nouveau Claude Lorrain ? Si les scènes de la Genèse ont été un des alimens de la peinture au XVIe siècle, pourquoi les scènes de la nouvelle Genèse n’ inspireraient-elles pas les artistes de notre temps? On dit que les esprits languissent, que les sources anciennes sont épuisées, soit ; voilà un monde nouveau qui se révèle, pourquoi n’enfanterait-il pas un art nouveau?

La sculpture et la peinture, chez les anciens et les modernes, ont agrandi le monde réel en inventant des êtres qui n’ont jamais pu exister. Pense-t-on que les sphinx des Égyptiens accroupis sur le sable, les centaures, les faunes, les satyres des Grecs, les griffons, moitié hindous, moitié perses, les goules du moyen âge, les anges-serpens de Raphaël, ne pussent trouver d’analogues dans les êtres vivans qui ont peuplé la terre avant l’époque présente? Il me semble au contraire que les reptiles dinosauriens, les iguanodons, les plésiosaures, pourraient rivaliser avec les dragons à la gueule enflammée de Médée, les serpens volans avec les serpens de Laocoon, les plus anciens ruminans et les grands édentés, mylodon, mégathérium, avec les taureaux: couronnés de Babel, les mammifères incertains, les mystérieux dinothériums et toxodons avec les sphinx gigantesques de Thèbes, les ichthyosnures. avec les hydres d’Hercule et les harpies d’Homère, le cheval hipparion aux pieds digités avec les chevaux de Neptune ou avec le monstre de Rubens à la crinière soulevée, à la croupe colossale. J’aimerais avoir et à entendre l’ancêtre des chiens, l’amphicyon, hurler au carrefour de la création des mammifères tertiaires; je ne regretterais pas le Cerbère des enfers et ses trois gueules.

Si les artistes grecs et modernes étaient réduits à imaginer des