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une petite opinion factice. Ce n’est pas tout : très habile dans la diplomatie, grâce à l’esprit de suite que lui donne une politique traditionnelle, le Brésil a réussi non-seulement à faire de Buenos-Ayres son humble satellite dans sa lutte contre le Paraguay, il a même pu entreprendre l’œuvre hardie de modifier la législation de toute la république argentine et de s’inféoder ainsi la société même. Pareil triomphe vaudrait certes mieux pour lui que la construction de forteresses et le maintien de garnisons brésiliennes sur le sol platéen ; mais il eût été imprudent de procéder avec franchise. Il importait de rester indifférent en apparence, et de se faire remplacer dans cette machination par des Argentins naïfs ou complices. Ces Argentins se sont présentés. Le général Mitre a prêté son concours, le docteur Velez Sarsfield a donné son érudition, et maintenant les corps publics se trouvent saisis d’un projet de code civil commun à toutes les parties de la république argentine.

Ce n’est point que les lois manquent dans le pays ou qu’elles soient considérées comme mauvaises, non ; mais les états de la Plata, reliés les uns aux autres comme ceux de la république anglo-américaine et comme les cantons de la Suisse par un simple lien fédéral, ont chacun leur système propre de lois civiles, et ce sont ces lois particulières et locales qu’on veut remplacer par un code centralisateur comme celui du Brésil ou de la France impériale. Bien plus, on aurait l’intention de les remplacer par des lois en grande partie copiées sur celles du code révisé que prépare le gouvernement de Rio-de-Janeiro, de sorte que d’avance les deux nations seraient destinées à subir la même jurisprudence. Les lois édictées par un empire où règne l’esclavage, où le territoire est entre les mains de grands propriétaires, où la femme est maintenue par les mœurs dans une sorte de réclusion, seraient aussi les lois convenables à une république égalitaire, où tous les hommes sont citoyens, où les terres, colonisées par les immigrans, se morcellent rapidement et passent de main en main, où la femme jouit de la plus grande liberté ! Parmi les articles du nouveau projet de code, il en est plusieurs qui pourraient être adoptés sans inconvénient par les populations de la république argentine et qui conviendraient à leur état social ; mais que dire d’un ensemble de lois où manque précisément cette garantie essentielle qui assure aux colons étrangers et aux non-catholiques le droit de fonder une famille respectée ? Les prêtres, c’est-à-dire les représentans de la cour de Rome, gardent le registre des naissances et des morts, et toute union qui n’est pas consacrée par eux reste qualifiée de concubinage. Ceux des états argentins qui reconnaissent déjà le mariage civil, comme Santa-Fé, consentiront-ils à reprendre les anciennes traditions coloniales contre ces immigrans étrangers qui leur apportent la richesse et la