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Samanacodom dont parle le poème de Louis Racine n’était autre que le Çramana-Gautama des Indiens, c’est-à-dire le Bouddha. C’est de nos jours seulement qu’on a su à quelle époque et comment le bouddhisme, religion aryenne, avait été apporté par des missionnaires indiens chez ce peuple d’une race inférieure, l’avait adouci, transformé, civilisé, et en avait fait celle peut-être de toutes les sociétés humaines où la tolérance est la mieux pratiquée. Quand on compare le bouddhisme de Siam avec celui des plus anciens Sûtras du Népal, qui sont comme les évangiles de cette religion, on se convainc bientôt que la partie métaphysique de la doctrine a presque disparu de l’enseignement, que les peuples de la presqu’île l’ont remplacée par un amas de superstitions et de pratiques grossières, que la supériorité des premiers missionnaires au milieu d’une population inculte, se transmettant à leurs successeurs, a multiplié les prêtres et les couvens dans une effrayante proportion. Le sacerdoce, là comme à Rome, s’est modelé sur la constitution politique du pays ; tout ce clergé dépend d’un seul pontife, qui est l’égal du roi, qui règne à côté de lui, et qui a lui-même le titre de roi.

On fut bien longtemps aussi à s’apercevoir que la religion de beaucoup de Chinois était une importation étrangère, et que Fô est la forme monosyllabique chinoise du nom du Bouddha. Les voyages en Chine, la traduction d’anciens voyageurs chinois, notamment celle de Hiouen-Thsang par M. Stanislas Julien, ont jeté les plus vives lumières sur l’origine et l’histoire du culte de Fô. Il a été possible de le comparer avec le bouddhisme de nos jours et avec le bouddhisme primitif tel qu’il se montre dans les Sûtras du Népal. On a vu combien l’élément chinois a transformé la doctrine du maître. Tandis que beaucoup de lettrés sont des philosophes sceptiques et matérialistes, les sectateurs de Fô, ne comprenant rien à la haute métaphysique de Çâkya-Mouni, l’ont remplacée par des cultes idolâtriques dont le plus répandu est celui d’une femme idéale, Mâyâ, la mère du Bouddha.

La diminution de la théorie primordiale, base des religions, n’a pas été moins grande au Tibet que chez les autres peuples de la race jaune. Qu’on lise le père Huc, mais qu’on lise surtout les documens orientaux, en particulier ceux qu’a traduits M. Foucaux, et l’on se convaincra facilement que le bouddhisme tibétain est bien différent de celui des Indiens du temps du roi Açôka ou de Tchandragupta, l’allié diplomatique et aryen de Séleucus Nicator. Nous pourrions continuer cette énumération et passer en revue, de Ceylan au Japon, tous les peuples de races étrangères qui ont adopté les institutions bouddhiques ; mais c’est un fait acquis à la