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LES
MANUFACTURES DE TABAC

LES ÉTABLISSEMENS DU GROS-CAILLOU ET DE REUILLY

Lorsque, le 8 octobre 1492, Christophe Colomb découvrit l’île de Guanahani, qu’il nomma San-Salvador, il envoya deux Espagnols parcourir l’intérieur des terres. Les messagers revinrent et racontèrent qu’ils avaient rencontré plusieurs naturels qui tenaient en main un petit tison d’herbes dont ils aspiraient la fumée. L’herbe ainsi brûlée se nommait cohiba et le tison était appelé tabaco ; on a pris la partie pour le tout, et ce dernier mot seul a prévalu, en Europe du moins, car à la Havane on dit encore probar un tabaco, pour fumer un cigare. Ce fut Jean Nicot, ambassadeur de France à Lisbonne, qui apporta dans notre pays le tabac, déjà connu en Espagne et en Portugal. Le nom scientifique de nicotiana tabacum consacre ce souvenir. Catherine de Médicis adopta la plante nouvelle, qui, passant pour guérir tous les maux imaginables, devint l’herbe à la reine, l’herbe Médicée, l’herbe sainte. La mode s’en empara, l’usage s’étendit peu à peu, et finit par entrer dans les mœurs ; mais ce ne fut pas sans protestation de la part de quelques souverains. Amurath IV faisait piler les priseurs dans un mortier, le shah de Perse Abbas se contentait de leur faire couper le nez ; Innocent VIII les vouait aux peines éternelles, et Jacques Ier d’Angleterre écrivait contre eux des livres pleins de sages sentences. Rien n’y fit : le tabac devait vaincre ses adversaires, triompher des obstacles et devenir une sorte d’aliment baroque, d’une utilité très