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ses analyses une méthode large et savante. Rapprochée d’une part des monumens et des écrits anciens qui l’ont plus ou moins inspirée, comparée ensuite avec les productions analogues des artistes de la renaissance, l’œuvre païenne de Raphaël s’éclaire dans ce travail d’une lumière très vive. Or quel est le résultat auquel aboutissent ces curieuses et habiles recherches ? Habituellement l’auteur s’arrête à cette conclusion juste, mais incomplète, que la mythologie raphaélesque présente l’accord définitif de la pensée chrétienne et de la plastique grecque. Parfois, allant au-delà de ce jugement, il ose affirmer que les beaux corps donnés par Raphaël à ses nymphes et à ses divinités expriment « l’âme moderne elle-même. » Ces mots, à les prendre dans leur sens le plus étendu, renfermeraient une solution hardie et que je tiendrais pour vraie. Raphaël est en effet le Phidias des temps modernes. Phidias a tout ensemble résumé le travail de ses prédécesseurs, découvert et fixé l’idéal du paganisme et pressenti le spiritualisme de Platon. De même Raphaël, outre qu’il a concilié les élémens durables de l’art païen et de l’art chrétien, a deviné et revêtu de sa forme idéale le spiritualisme laïque et libre dont Descartes ne devait écrire qu’un siècle plus tard la théorie philosophique. Tranchons le mot, les créations mythologiques de Raphaël nous révèlent un génie spiritualiste procédant avec la plus complète indépendance. Cette opinion sera contredite, je m’y attends bien, et la pensée de M. Gruyer n’a peut-être pas prétendu aller jusque-là. N’importe, que cette interprétation soit ou non la sienne, il me suffit que son livre en offre d’un bout à l’autre la solide démonstration. Je vais donc me servir des faits réunis dans ce vaste ouvrage pour établir, telle que je la comprends et telle qu’elle se dégage de son œuvre païenne, l’originalité propre de Raphaël, tout à fait remise en question par les dissentimens profonds des plus récens critiques. Afin d’y réussir, je tâcherai de répondre aux trois questions suivantes. — Dans quelle mesure les prédécesseurs de Raphaël, depuis les peintres des catacombes jusqu’au Pérugin, ont-ils préparé et accompli l’accord de la beauté païenne et de l’idéal chrétien ? — De cette conciliation qu’il a consommée, le grand artiste n’a-t-il pas fait sortir un art nouveau plus libre et plus large ? — Enfin la puissante originalité que mettent en évidence ses œuvres mythologiques n’a-t-elle pas sa vraie cause dans l’intelligence et dans la volonté, dans l’âme et dans le caractère du peintre, bien plus que dans les influences extérieures ?