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l’examen minutieux des textes lui saute aux yeux maintenant, les contradictions ne lui échappent plus. Pour le dogme, il lui reste le mystère, dans lequel elle peut encore se réfugier, bien que cela lui soit moins facile en un siècle de science et de lumière ; mais pour l’histoire les textes sont là qui en dérangent la trame traditionnelle par leur caractère contradictoire. Sans doute en matière religieuse l’autorité de l’église peut trancher la question. C’est ce qu’elle fait quand il en est besoin. Toutefois on n’ignore pas que cette intervention de l’autorité est un coup d’état qui répugne de plus en plus aux habitudes scientifiques du siècle. On sait que dans un temps comme le nôtre l’autorité s’use en ces sortes de violences. Ne serait-ce pas la raison pour laquelle l’école théologique, avec toutes les chances de succès que donne le talent, hésite à combattre sur le terrain de la science la critique de son histoire et de ses dogmes ? Elle connaît les textes embarrassans comme ses adversaires : bien qu’elle s’en défende, elle a la même conscience qu’eux des principes de justice, de liberté, d’humanité, que contredisent souvent les textes sacrés (de l’Ancien-Testament) ; enfin elle comprend l’esprit d’un siècle pour lequel nulle autorité ne prévaut sur celle de la science et de la conscience. Cela nous semble expliquer bien des réserves et bien des réticences dans toute polémique de ce genre, cela nous fait surtout comprendre pourquoi on laisse l’exégèse de Strauss pour entreprendre le matérialisme et le panthéisme, qu’il paraîtrait plus naturel d’abandonner aux coups de la philosophie spiritualiste.

Il y a un terrain sur lequel l’école théologique conserve toute sa confiance, et où elle est sûre de rencontrer les sympathies du siècle, c’est la considération des intérêts moraux et sociaux engagés dans la querelle entre les libres penseurs et les théologiens. Ici ces derniers trouvent de puissans auxiliaires parmi les historiens et les politiques, généralement moins sympathiques au droit de la libre pensée qu’à l’intérêt vital des croyances religieuses. Ils trouvent dans l’esprit public une certaine complaisance à prêter l’oreille aux orateurs, aux écrivains qui associent la cause de la religion à celle de l’ordre social et de la moralité publique. Quand donc, au lieu de suivre leurs adversaires de l’école critique sur le terrain de l’histoire et du dogme, les théologiens demandent à la foule qui se presse autour de leurs chaires ou au grand public religieux qui les lit ce que pèse la religion et ce que pèse la philosophie dans la balance des grands intérêts sociaux, quand ils montrent la morale enseignée au peuple, la charité pratiquée en grand par le christianisme, quand ils font voir le vide immense que laisserait la religion dans l’ordre moral des sociétés humaines, si elle venait à s’en retirer tout à coup, quand ils font ressortir par contraste l’insuffisance