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l’Évangile respire la justice et l’égalité, la vérité historique est que l’église n’a pas plus résisté à l’esclavage et à la féodalité qu’au pouvoir absolu et au césarisme dans tous les temps et dans tous les lieux. C’est ce que ne pouvaient avouer l’esprit libéral et l’âme évangélique du père Lacordaire.


II.

Il est une justice à rendre à la théologie comme à la science allemande : c’est qu’elle ne va guère chercher ses argumens autre part que dans l’étude des faits et des textes. Nous parlons de la théologie orthodoxe, l’autre n’ayant pas le choix des méthodes et ne pouvant en appeler qu’à la science et à la critique contre le dogmatisme de la tradition. La théologie française, on vient de le voir, se réserve les armes de la polémique, la dialectique et la rhétorique. Sauf de rares exceptions, c’est aux corps savans, aux professeurs de l’Université elle-même, aux professeurs croyans, bien entendu, qu’elle laisse le soin de faire la guerre des textes. C’est qu’en effet la science, même la science religieuse, est plutôt là qu’ailleurs. Des hommes comme MM. Wallon et Martin, doyen de la faculté des lettres de Rennes, sembleraient plus propres à l’œuvre de l’exégèse que les théologiens eux-mêmes, sans excepter le père Gratry. M. Wallon est plus connu dans le monde de la science pure que dans celui de la théologie. Pourtant il est facile de voir par ce qu’il a fait en ce genre qu’il eût été un des plus sérieux adversaires de l’exégèse des Baur, des Strauss et des Renan, s’il eût voulu entrer résolument dans le débat avec son érudition précise et sa critique ferme et rigoureuse. M. Martin, avec l’étendue, la variété, la profondeur de son instruction classique et théologique, avec sa puissance de travail, avec le tempérament tout scientifique de son esprit et de son caractère, paraissait prédestiné à une tâche semblable. Il a mieux aimé appliquer cette instruction et ces précieuses facultés aux grands problèmes métaphysiques de Dieu, de la spiritualité de l’âme et de la vie future. Est-il parvenu, dans les savans ouvrages où il traite de ces matières, à doter le spiritualisme de vues, de faits et d’argumens nouveaux? On en peut douter en le lisant, et on se prend parfois à penser qu’un tel érudit, maniant les textes au lieu des idées, eût rendu de bien autres services, non pas seulement à la théologie, mais à la science. L’érudition, de même que l’expérience, est souveraine en matière de discussion; les croyances a priori ne tiennent pas plus devant les textes que les théories préconçues devant les phénomènes, et quand par hasard les préjugés résistent, car l’esprit prévenu va jusque-là, la vérifica-