Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 75.djvu/762

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

elle a eue dans cette crise tantôt aiguë, tantôt chronique, où se débattent et s’énervent tous les intérêts depuis quelques années, dans cette crise à laquelle on n’a trouvé jusqu’ici aucun remède, et qui devient si aisément, si naturellement une arme entre les mains de tous les adversaires du nouveau régime économique. C’est justement sur ce terrain, à la fois précis et indéfini, où se rencontrent et se croisent, tant de questions complexes, qui confine à tout, à la politique et à l’économie sociale, c’est sur ce terrain que s’est engagée une lutte ou ont figuré au premier rang, — d’un côté, au nom des idées protectionistes. M. Thiers avec sa grande expérience des affaires publiques, M. Pouyer-Quertier-avec ses connaissances pratiques d’industriel fort expert, — de l’autre côté, au nom de la liberté commerciale, M. Rouher, le signataire du traité avec l’Angleterre, le ministre des travaux publics, M. de Forcade la Roquette, M. Emile Ollivier. La gauche s’est refusée au combat, ou du moins M. Jules Simon seul est entré en lice pour exposer de judicieuses considérations d’un ordre tout politique, et à notre sens la gauche a commis une faute, parce qu’un parti qui a l’ambition déporter en avant la bannière du libéralisme ne saurait se désintéresser de tels débats, ni même accepter un rôle passif. La gauche, ce nous semble, avait devant elle un rôle tout tracé qu’elle a laissé à M. Emile Ollivier, et qui consistait à avouer hautement les principes de liberté commerciale, sans abdiquer le droit de montrer ce qui a manqué, ce qui manque encore dans Inapplication de ces principes. Elle a laissé en définitive la lutte se concentrer entre M.. Thiers et M. de Forcade la Roquette, entre M. Pouyer-Quertier et M. Rouher.

Si la cause protectioniste avait pu être sauvée, elle m’aurait été sans nul doute par M. Thiers, par cette fécondité de ressources d’un esprit éminent, par cette habileté avec laquelle l’illustre défenseur des libertés nécessaires réussit presque à faire illusion en représentant la protection comme un intérêt d’état, comme un intérêt patriotique. M. Thiers a pour lui dans une discussion semblable une conviction très forte, servie par un art consommé de la parole. Nul ne sait mieux rassembler tout ce qu’on peut dire, tout ce qui s’est dit de tous les temps pour étayer un système au moins insuffisant désormais ; nul ne sait mieux coordonner, grouper des faits et des chiffres de façon à leur donner l’apparence d’une démonstration saisissante. Et cependant M. Thiers n’a convaincu personne, ou du moins il n’a convaincu que ceux qui n’avaient pas besoin d’une éloquence si vive pour marcher sous le même drapeau. M. Pouyer-Quertier, lui, nous représente assez bien dans cette lutte un vrai partisan faisant la guerre pour son compte, frappant un peu de tous côtés sans ménagement et sans crainte. C’est un terrible lutteur qui a étonné et émerveillé son monde par ses tours de force dans l’interprétation des documens commerciaux. M. Pouyer-Quertier ne sera jamais