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français ont encore une autre raison de délaisser tous ces grands cadres ; ils savent que les projets qu’on expose au Salon ne seront pas exécutés dans un puits, qu’on les rencontrera un jour ou l’autre au grand soleil, et qu’il sera bien temps de les juger lorsqu’ils auront pris corps. Ce que voyant, les maîtres de l’art n’exposent plus, mais exécutent, et laissent toute la place aux jeunes gens, qui s’y précipitent.

De tous les matériaux de construction, le papier est assurément le plus docile. Aussi rencontrez-vous en dix minutes de promenade deux ou trois temples grecs, deux maisons de Pompéi, un palais marocain, une colonne rostrale, une villa princière, un château impérial, trois théâtres, autant d’églises, une synagogue, un hôtel, un sanctuaire dédié à la Vierge en Algérie, sans doute pour l’édification des néophytes arabes, et une série de dessins évangéliques, par où nous commencerons, s’il vous plaît.

M. Charles Bossigneux, architecte en tout genre, qui construit la maison, décore l’appartement, dessine le mobilier, esquisse les vitraux, fait faire sur ses plans la vaisselle, les cristaux, l’argenterie et même les bijoux de madame, cet artiste invraisemblable et presque ridicule aujourd’hui, parce qu’il n’a voulu s’enfermer dans aucune spécialité, les ayant toutes, exécute pour la librairie Hachette toute l’ornementation des Évangiles in-folio. A part les caractères d’imprimerie, qu’il a dessinés un à un avec un goût digne de la renaissance, tout son travail est symbolique et presque hiéroglyphique. L’usage des figures lui est défendu ; il ne s’agit pas de faire concurrence à l’illustration proprement dite, qui sera l’œuvre de M. Bida. Il s’agit de nous expliquer par des ornemens pittoresques que les lys ne travaillent ni ne filent, qu’il ne faut pas mettre la lumière sous le boisseau, que l’ivraie étouffe le bon grain, qu’il ne faut pas dire à son frère raca ! A la difficulté presque insurmontable de cette interprétation s’ajoute l’obligation de répéter quatre fois les mêmes sujets pour les chapitres correspondans des quatre évangélistes, de les varier, et pourtant de conserver partout le même style, la même égalité de crayon, le même sentiment religieux, pour faire de tout cet appareil une œuvre une et logique. Il y a bien longtemps qu’un artiste ne s’est mis en présence d’un tel problème. Les dix spécimens de dessins que M. Bossigneux a renfermés dans un seul cadre ne disent pas s’il l’a résolu jusqu’au bout, mais prouvent qu’il est de force à le résoudre.

Dans l’architecture antique, le travail de M. Moyaux est hors ligne. C’est un cadre qui contient sept magnifiques aquarelles sur l’acropole d’Athènes, toutes également exactes de dessin et justes de ton. Vient ensuite la Maison de la muraille noire par M. Joyau,