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que temps à la chambre des communes trois résolutions qui pouvaient se résumer en ceci : 1° que l’église protestante d’Irlande cesserait d’exister comme établissement de l’état, sauf garantie assurée aux droits acquis ; 2° que toute création de nouveaux droits ou de nouveaux intérêts personnels serait suspendue jusqu’à la décision du parlement ; 3° qu’une humble adresse serait présentée à la reine pour la prier de mettre des ce moment à la disposition du parlement son intérêt dans les bénéfices temporels des archevêchés, évêchés et autres dignités ecclésiastiques en Irlande M. Gladstone, en proposant ces trois résolutions, obéissait sans nul doute à une sérieuse inspiration de libéralisme et d’équité, il tranchait dans le vif de la question irlandaise en se ralliant à un grand principe mais il agissait certainement aussi en chef de parti qui ne résiste pas à la tentation de mettre le gouvernement dans l’embarras. En un mot il avait bien l’idée qu’il ne faisait pas les affaires de M. Disraeli, et il a réussi plus qu’il ne l’espérait peut-être lui-même. Sa motion est sortie triomphante des luttes qui se sont engagées dans la chambre des communes, elle a passé victorieusement avant les vacances de Pâques et après les vacances à une majorité toujours croissante malgré les efforts du ministère. Le tacticien libéral a battu le tacticien tory dans cette première partie de la campagne.

Moralement, c’est une évidente et complète victoire pour les idées dont M Gladstone s’est fait le promoteur, et on peut même dire que c’est dès ce moment la déchéance de l’église d’Irlande. Cette église irlandaise en effet était une de ces institutions qui ne peuvent vivre qu’a la faveur d’une sorte de complicité unanime de l’opinion, tant qu’elles ne sont pas discutées ; le jour où on les discute, où l’on appelle la lumière sur elles, c’est le commencement de la fin. Les protestans d’Irlande l’ont bien senti, et ils sont restés dans la stupeur ; ils ont compris qu’ils étaient définitivement abandonnés par une portion de l’opinion anglaise, et qu’un ministère ne pouvait plus les sauver. Moralement donc, c’est une question tranchée ; mais il reste le côté politique et parlementaire de cette situation si soudainement misé à mal par la double victoire de l’opposition. Que pouvait faire le ministère ? Se retirer en laissant à M. Gladstone le difficile honneur d’appliquer ses idées, c’était ce qui semblait le plus régulier et le plus simple. Au fond, M. Disraeli n’en avait pas la moindre envie ; M. Disraeli se trouve bien au ministère dans son rôle de premier, et il lui faut une signification plus catégorique pour qu’il quitte la plus belle place du monde. Désarmer l’opposition en lui prenant son système ou une partie de ses idées, comme dans le bill de réforme, M. Disraeli était bien homme à ne pas reculer devant une évolution de ce genre ; mais il s’était trop engagé, et il n’eût pas évité sans doute un échec plus humiliant encore. Dissoudre le parlement, c’est ce qu’il a conseillé à la reine, et il est revenu devant la chambre des communes avec ce pouvoir de dis-