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dans les transactions diplomatiques, tout cela est allé remuer les âmes, enflammer tous les désirs d’indépendance chez ces races orientales depuis longtemps courbées sous le joug. Comment admettre en effet, lorsque la domination autrichienne s’évanouissait à Venise et à Milan devant le sentiment national italien assisté par la France et par la Prusse, que la domination turque peut être plus légitime, plus respectable dans des provinces chrétiennes et slaves ? Il y avait l’influence de l’exemple, l’action contagieuse des idées et des passions. Une autre cause tout intérieure, c’est que depuis dix ans, depuis qu’il a été sauvé par une guerre, le gouvernement turc n’a point fait évidemment ce qu’il devait. Par le traité de 1856, le gouvernement turc, en échange de son introduction parmi les puissances européennes, avait donné un hatt-humayoum qui était le programme d’une politique nouvelle, une charte de réformes en faveur des populations chrétiennes de l’empire. De cette charte, il est bien clair que rien n’a été réalisé jusqu’à ces derniers temps où deux hommes habiles, Fuad-Pacha et Aali-Pacha, ont remis la main à l’œuvre. Comme tous les pouvoirs fatalistes et paresseux, le gouvernement turc s’est reposé tant qu’il a pu dans la sécurité que venait de lui créer la guerre, au lieu de profiter de ce temps de répit. Il a continué à pressurer les chrétiens. Les rapports des consuls anglais en Orient sont d’une éloquence significative. « L’égalité devant la loi promise à la population chrétienne par le hatt-humayoum de 1856, dit l’un, n’existe pas ici. Les témoignages des chrétiens ne sont pas admis contre les musulmans dans les causes civiles et criminelles… L’impôt de capitation a été effectivement aboli, mais il a été remplacé par une contribution militaire bien plus pesante… » — « Il est notoire, dit l’autre, le consul de Monastir, qu’un grand nombre de chrétiens ont été assassinés dans ces derniers dix ans… On pourrait remplir des volumes, si l’on voulait narrer les injustices et les indignités infligées aux chrétiens de ce pachalik… »

De ces causes diverses est née une situation progressivement aggravée, une sorte d’agitation s’étendant de l’Archipel au Danube. Serbes, Bosniaques, Bulgares, Candiotes, se sont plus que jamais mis en mouvement. Ceux qui ne se sont pas insurgés tout à fait comme les Crétois ont préparé la guerre pour la première éventualité. Des comités se sont organisés, des bandes se sont formées, les collisions partielles se sont multipliées en attendant l’insurrection générale toujours annoncée. Bulgares, Bosniaques et Serbes, que veulent-ils au juste ? Assurément ils sont divisés entre eux, ils ont des affinités et des espérances différentes, ils sont assez anarchiques dans leurs combinaisons ; mais pour le moment ils sont unis