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cipe : le christianisme peut-il se transformer sans cesser d’être?

Pour nous, nous comprenons difficilement que l’on refuse le titre de chrétien à celui qui revendique ce titre volontairement et sincèrement. Par cela seul que je me dis chrétien, je le suis, à moins que l’on ne suppose que je mente. Dites que mon christianisme est erroné, si vous voulez, c’est précisément ce que les catholiques disent du vôtre ; mais ne dites pas que mon christianisme ne mérite pas un tel nom. Par cela seul que je reste attaché à cette forme religieuse, c’est que j’y trouve quelque chose que je ne trouverais ni dans une autre religion ni dans une école de philosophie, par exemple un type vivant de piété, de pureté, de charité, qui me sert de modèle pour me conduire ici-bas et d’intermédiaire pour m’élever jusqu’à Dieu. Si le Christ reste pour moi le sauveur des hommes, je suis chrétien, lors même que je ne verrais aucun phénomène surnaturel dans sa mission et dans celle de ses apôtres. Vous dites qu’il ne peut y avoir de religion sans surnaturel, c’est ce qui est en question. Le miracle écarté, il reste encore l’idée de la Divinité et de son action incessante sur l’univers; il reste le sentiment religieux qui unit l’homme à Dieu. Or il y a eu dans l’histoire certains hommes qui ont éprouvé au plus haut degré le sentiment de l’union de l’homme et de Dieu; ceux-là sont les initiateurs religieux, ce sont des médiateurs. Jésus est un de ceux-là. C’est lui qui, dans notre Occident, a consommé dans son cœur de la manière la plus intime l’union du fini et de l’infini. C’est à ce titre que nous le considérons nous-mêmes comme le sauveur, et que nous sommes de sa religion. Ainsi parlent les protestans libéraux, et je ne sais à quel titre, au nom de quel principe, on exclurait du sein du christianisme ceux qui parlent ainsi.

Mais en quoi, dira-t-on, une telle religion se distinguera-t-elle de ce qu’on appelle la religion naturelle, ou du déisme philosophique? Et ne sait-on pas par l’expérience que la religion naturelle n’a jamais pu s’établir parmi les hommes, que le déisme est une opinion de cabinet, une doctrine d’école et non pas une religion? Bien plus, ajoutera-t-on, cette sorte de déisme est si vague qu’il peut envelopper toute autre chose que le déisme même, à savoir le panthéisme et jusqu’à cette forme d’athéisme poétique et sentimental qui est propre à notre temps. Je ne suis pas frappé pour ma part de la solidité de ces objections. Sans doute personne ne peut répondre de l’avenir : il pourrait se faire que la crise protestante à laquelle nous assistons ne soit qu’un des symptômes de la dissolution des croyances, un acheminement au scepticisme, au positivisme, à l’athéisme; mais il me semble que cela ne peut être solidement soutenu que par ceux qui nient la vérité intrinsèque de