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blanches que les vôtres. Elle leva ses bras au-dessus de sa tête, agita ses mains pour faire descendre le sang, et les abaissant brusquement : — Voyez, dit-elle, Je les lave avec du savon grec parfumé. Sentez un peu… Ah ! mais… pas de baiser… Ce n’est pas pour cela que je vous les montre. Ou servez-vous ?

— Je sers dans la flotte, au 19e équipage de la Mer-Noire.

— Ah ! vous êtes marin… Avez-vous un gros traitement ?

— Non, pas trop.

— Vous devez être très brave. Je vois cela dans vos yeux. Quels épais sourcils vous avez ! On dit qu’il faut les frotter de suif la nuit pour qu’ils poussent ; mais pourquoi n’avez-vous pas de moustaches ?

— Le règlement ne le permet pas.

— Fi ! qu’il est bête, votre règlement ! Est-ce un poignard que vous avez là ?

— C’est une dague. La dague est le signe distinctif du marin.

— Ah ! une dague ! Est-elle tranchante ? Voyons un peu.

Et, fermant les yeux, se mordant les lèvres, elle tira avec effort la lame du fourreau, et se l’appliqua par le tranchant sur le nez : — Mais elle est ébréchée, votre dague, dit-elle. Et pourtant je puis vous tuer d’un seul coup. Elle menaça le lieutenant, qui fit semblant d’avoir peur et partit d’un gros rire. Elle se mit à rire aussi.

— Je vous fais grâce, dit-elle en prenant une pose majestueuse. Allons, reprenez votre arme. A propos, quel âge avez-vous ?

— Vingt-cinq ans.

— Et moi dix-neuf. Dieu, que c’est drôle !

Emilie se mit alors à rire avec tant d’abandon qu’elle s’en renversa en arrière. Le lieutenant restait immobile sur sa chaise, ne pouvant détourner ses regards de ce visage frais et rose, tout frémissant de l’éclat de rire. Elle lui plaisait de plus en plus.

Emilie s’arrêta tout à coup, et après avoir examiné le lieutenant avec attention, comme si elle le voyait pour la première fois, elle se rapprocha du miroir, tout en chantonnant entre ses dents (c’était son habitude). — Savez-vous chanter, monsieur Florestan ? demanda-t-elle.

— Non, mademoiselle ; on ne m’a point appris le chant quand j’étais petit.

— Et jouer de la guitare, pas davantage ? Moi, je sais. J’ai une guitare tout incrustée de nacre de perles ; seulement les cordes sont cassées. Vous me donnerez bien de quoi les remplacer, monsieur l’officier ? Alors je vous chanterai une belle romance allemande, si touchante !… Et savez-vous danser ?… Non ! c’est impossible. Je