Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 74.djvu/371

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

royauté française que nulle autre n’a égalée, fait d’immenses progrès. Philippe de Valois, après Philippe le Bel, traite le pape d’hérétique et menace de le faire « ardre. » Au pouvoir ecclésiastique, le roi de France oppose un droit égal, venant aussi de Dieu ; aux conciles, il oppose les états-généraux ; aux officialités et à l’inquisition, la justice séculière ; aux écoles épiscopales et monastiques, les universités et leurs collèges ; aux bibliothèques latines des chapitres et des abbayes, des collections profanes rendues quelquefois publiques et où les livres en langue vulgaire sont nombreux. En tête de ce grand mouvement brille le nom de Philippe le Bel, qu’à l’étranger on appela Filippo il Grande. M. Le Clerc fit à beaucoup d’égards l’apologie du souverain qui, par un appel hardi à la France, porta le coup mortel à la papauté des Grégoire et des Innocent. Avec Philippe le Bel, le budget fit son entrée dans le monde ; cette entrée ne pouvait être aimable, un concert de malédictions devait l’accueillir. L’opinion superficielle a pour habitude d’accepter volontiers les bienfaits de l’état et de tonner contre les charges imposées par l’état. Les procédés financiers de Philippe le Bel furent odieux, mais jamais mesure fiscale n’est populaire. Le procès des templiers fut un échafaudage d’iniquités, de subtilités, de barbaries ; mais, qu’on y songe, supprimer une milice de célibataires détenant en mainmorte une portion considérable de la richesse nationale et devenue sans objet depuis la perte de la terre sainte, était sûrement une excellente idée. Or les principes du temps ne laissaient au roi qu’un moyen pour supprimer cette milice : c’était de prouver qu’elle était imbue d’hérésie, accusation qui ne pouvait se soutenir que par des tortures et des faux témoins. Les vieilles institutions s’arrangent d’ordinaire de telle façon qu’on ne peut les attaquer sans être violent.

Les belles ordonnances des successeurs de Philippe le Bel prouvent bien que le règne de ce prince fut l’avènement d’une grande. génération d’hommes d’état. M. Le Clerc crut devoir être beaucoup plus sévère pour les Valois. Son patriotisme si profond ne pouvait pardonner à la dynastie brillante, mais frivole, qui, par sa vanité et son étourderie, faillit perdre la France telle que l’avait faite le génie de la première branche des Capétiens. Naturellement il admettait une exception pour l’honnête Charles V. Il montra les solides résultats du travail littéraire de ce règne pour la prose politique française et pour le bon sens public. En somme, malgré toute sorte de décadences, la France était grande encore. Des princes du sang, hommes aimables, gens d’esprit, amateurs éclairés, faisaient de Paris le centre de la mode. Le conseil du roi, le parlement, comptaient de sages clercs, et inauguraient le règne d’une haute