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directement par les métropoles. Les blancs y jouissent des droits ordinaires qu’ils possèdent dans leur patrie ; les naturels y sont traités humainement, suivant leurs traditions séculaires et leurs anciens codes. On respecte la religion, les coutumes et surtout le mode de propriété ; mais l’égalité civile n’existe pas encore. L’indigène n’est point jugé par ses pairs, par les hommes de sa race, et ne parvient pas aux grands emplois. En général aussi, le pouvoir militaire perd sa suprématie dès que l’énergie des populations a été domptée, que la force de rébellion a été éteinte, et c’est au pouvoir civil qu’est dévolu le soin d’administrer.

Cette manière de gouverner a fait l’Inde anglaise riche et prospère, soldant son budget local en équilibre ou même en excédant, sans compter les sommes énormes qu’elle rapporte indirectement à l’Angleterre par le commerce, le monopole du sel et de l’opium. Les Hollandais, malgré cet exemple, maintinrent jusqu’en 1830 à Java l’ancien système de colonisation ; mais le déficit grandit si promptement que, pour y remédier, ils n’hésitèrent pas à rompre avec les idées économiques les plus accréditées et à organiser tout un système d’administration qui mit l’indigène en tutelle et fit l’état à la fois propriétaire et négociant. C’était créer le servage complet de toute la population autochthone et le monopole de tous les produits ; mais les résultats obtenus sont si merveilleux, la similitude du climat avec celui de la Cochinchine est si grande, qu’il est utile de suivre les procédés employés à Batavia pour bien comprendre les motifs qui nous les ont fait rejeter à Saïgon.

Avant l’arrivée des Européens, l’île de Java, malgré la religion mahométane, implantée cinquante ans après l’hégire, était restée bouddhique quant aux institutions : la terre appartenait au souverain ou au conquérant, le régime était féodal, le paysan astreint à la corvée et tenu de travailler les terres de son seigneur. Les Hollandais ou la compagnie qui les représentait, à mesure qu’ils s’établirent, adoucirent ce que ce système pouvait avoir d’excessif en demandant une très faible part des produits des champs de riz qui font vivre l’indigène ; mais ils conservèrent la prestation en nature, et l’appliquèrent à la culture forcée des produits exotiques, comme le sucre, le café, le poivre, les épices, qu’ils monopolisaient pour les exporter exclusivement aux Pays-Bas. Lorsque les Anglais s’emparèrent de Java, ils héritèrent des magnifiques routes que venait de tracer en dix-huit mois le maréchal Daïndels, gouverneur pour le roi Louis, et cherchèrent à discréditer le régime hollandais en émancipant le paysan. Ce dernier n’avait eu jusqu’à ce jour en effet que l’usufruit du sol, sans jamais pouvoir en devenir propriétaire. Les Anglais vendirent le plus de terres qu’il leur fut possible, et