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d’un choc européen, danger, on peut le dire sans malveillance pour elle, qu’elle a elle-même créé par la conquête récente et soudaine de merveilleux avantages. Les sentimens de la cour de Berlin doivent assurément être pacifiques aujourd’hui. La Prusse n’a point encore consolidé son œuvre si rapide de l’année dernière. Malgré les apparences, un trop prompt ébranlement pourrait disjoindre des élémens discordans rassemblés jusqu’à présent par la force. La Prusse, nous en sommes convaincus, s’appliquera sans doute à éviter de fournir de nouveaux prétextes aux susceptibilités françaises. Le roi de Prusse prêchera sincèrement la patience aux Badois et au grand-duc, son gendre, qui montrent tant d’ardeur à s’annexer à la confédération du nord. Des difficultés intérieures bien visibles recommandent à M. de Bismarck la circonspection dans sa politique extérieure. Une extrême misère afflige en ce moment les provinces orientales de la Prusse. Le gouvernement est obligé de pourvoir à l’alimentation de la population malheureuse, et, comme les fonds lui manquent, il émet pour cela des bons à terme pour lesquels il faudra obtenir la sanction du parlement. Les excédans de dépenses de la guerre de 1866 ne sont point encore liquidés, et il y a dans cet arriéré une cause de gêne pour le trésor prussien. Enfin les provinces annexées et les états appelés dans la confédération du nord ne voient encore les avantages de l’unité que dans l’augmentation de leurs impôts et les charges du système militaire prussien. Ces diverses conditions ne sont point de nature à porter M. de Bismarck aux vues ambitieuses. Le succès le plus prochain qu’il ait à poursuivre est de consolider les avantages acquis par la Prusse. M. de Bismarck pourrait, il est vrai, compter, s’il voulait, sur l’alliance de la Russie ; mais les visées de la Russie dans une semblable union ne sauraient être acceptées légèrement par lui. La Russie laisserait prendre à la Prusse toute la race allemande et s’agrégerait les populations slaves avancées à travers les territoires germaniques. Le partage serait loin d’être avantageux pour la Prusse, et quel tourbillon de combats sanglans et confus il faudrait traverser pour l’opérer ! Si le cabinet de Florence, dans la dernière crise de l’affaire romaine, est allé frapper à la porte de Berlin, nous ne sommes point surpris qu’il y ait reçu un accueil assez froid. M. de Bismarck n’est pas d’humeur en ce moment de flatter l’aspiration italienne à Rome. Le bouillant conquérant de l’année dernière en est maintenant à la politique des ménagemens. Nous ne dédaignons point ce qu’il y a de rassurant pour le maintien de la paix dans les vues actuelles que l’on prête au ministre prussien ; mais la meilleure diversion qu’il y aurait à tenter contre ses projets futurs serait le signal de la véritable émancipation libérale donnée par la France à l’Europe.

Les choses se sont un peu améliorées en Italie. Les esprits raisonnables rendent meilleure justice à la patriotique prudence de M. Ména-