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un rêve entretenu par les souvenirs de l’antique grandeur germanique. Les fanatiques de cette idée, remontant à Arminius et à la défaite de Varus, vantaient les institutions du saint-empire. On aurait dit qu’ils attendaient que l’immortel Barberousse sortît de son tombeau pour restituer à son peuple le sceptre du monde. Après que la guerre eut effleuré les frontières de la confédération, des vues plus pratiques se répandirent : la crainte d’être entraîné dans la mêlée sans moyens suffisans de se défendre et sans une organisation solide fit qu’on se retourna de nouveau vers la Prusse, qui offrait une force respectable, et qui pouvait servir de point d’appui à l’état fédéral qu’il s’agissait de constituer. La diète ne soulevait que des sentimens de haine, de défiance ou de dédain. On se souvenait que Metternich s’en était servi pendant trente ans pour étouffer tout progrès vers la liberté, et depuis qu’elle avait été rétablie par l’Autriche, on la savait trop faible pour contenir l’antagonisme des deux grandes puissances qui se disputaient la suprématie en Allemagne. La conviction qu’il fallait une réforme devint si universelle que les princes eux-mêmes se mirent à l’œuvre pour chercher de nouvelles combinaisons constitutionnelles. En 1860, le duc de Saxe-Meiningen proposa le système de la « triade » (trias-idee) : pour arriver à plus d’unité et de force dans l’action, la confédération aurait eu trois directeurs, un nommé par la Prusse, un autre par l’Autriche, un troisième par les petits états. En 1861, le duc de Saxe-Cobourg lança l’idée d’une représentation générale du peuple allemand ; il fut hué comme un révolutionnaire. La même année, M. de Beust, alors premier ministre en Saxe, répliqua en reprenant pour son compte le système de la triade, mais en le rendant beaucoup plus compliqué encore. M. de Bernstorff, ministre prussien, profita du moment pour remettre au jour le programme d’Erfurt. Enfin l’empereur d’Autriche, dans la fameuse journée des princes à Francfort, communiqua un projet évidemment supérieur à tous les autres, attendu que le pouvoir aurait été exercé par quatre assemblées superposées. Les souverains allemands auraient dû pourtant se rappeler la fable du dragon aux sept têtes, composée précisément à l’occasion de l’empire germanique. Le peuple, lui, voulait précisément arriver à ne plus en garder qu’une ; mais tout projet de réforme devait nécessairement se briser contre le veto soit de la Prusse, soit de l’Autriche, soit des petits états, suivant qu’il favorisait l’une ou l’autre des puissances rivales. Une organisation condamnée par tous ne pouvait être améliorée par personne, parce que nul ne voulait aliéner une parcelle de son indépendance. La situation était donc sans issue, pacifique du moins. La pauvre Allemagne ressemblait beaucoup à un homme égaré dans un marais qui ne tire une jambe de la vase