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ennemi corps à corps. Telle fut la combinaison infernale à laquelle il s’arrêta ; toutefois il fallait trouver cet homme influent, honnête, qui à son insu mettrait son autorité, sa science théologique et son zèle au service des passions d’autrui. Théophile crut l’avoir trouvé dans la personne de son ancien adversaire, le vénérable Épiphane, évêque de Salamine en Chypre.

III.

Épiphane, dont j’ai parlé longuement dans un autre de mes récits à propos de ces mêmes querelles de l’origénisme, qu’il fut un des premiers à soulever, Épiphane ne comptait pas alors moins de quatre-vingts ans. Ce vieillard avait eu ses jours d’héroïsme, lorsque, consumant sa fortune et sa vie à la recherche des hérésies, bravant la faim, la soif, les mauvais traitemens des hommes pour étudier jusqu’au fond des déserts de l’Arabie les déviations de la foi chrétienne, il avait tenu d’une main ferme la chaîne des traditions apostoliques, si fréquemment ébranlée en Orient par l’imagination et la fantaisie ; mais, au moment où Théophile jetait son dévolu sur lui pour en faire un instrument de haine et de discorde, Épiphane n’était plus que l’ombre de lui-même. L’âge, sans diminuer son activité, avait affaibli son intelligence. Un esprit pétulant, brouillon, tracassier, remplaçait en lui cette âme généreuse, dévorée jadis du pur zèle de la maison de Dieu. Ébloui par sa propre gloire, enivré de ses succès près des conciles, dont il avait dicté si souvent les décrets, il avait fini par croire à sa propre infaillibilité, et se faire, vis-à-vis de ses collègues les évêques et des synodes eux-mêmes, un juge sans appel ou plutôt un tyran.

Il y avait dans cet homme profondément sincère, mais que l’orgueil dominait, quelque chose de la naïveté d’un enfant ; c’est ce que témoignent les historiens contemporains, et Théophile, dans le choix qu’il venait de faire, avait compté sur cette simplicité mêlée aux infatuations de l’amour-propre. Ainsi que je l’ai dit plus haut, à l’époque où, chef des origénistes, le patriarche avait eu pour adversaire l’évêque de Chypre, chef des anti-origénistes d’Orient, il l’avait traité insolemment, suivant son usage, l’appelant radoteur et anthropomorphite, et malgré cette insulte publique, consignée dans une lettre pastorale et aggravée par une menace d’excommunication, il lui suffit d’un mot pour ramener cet antagoniste et le plier à ses volontés. Il écrivit à Épiphane quand il eut besoin de lui que, si ses sentimens dans l’obscure question de l’origénisme étaient changés du tout au tout, s’il avait vu le jour dans ces ténèbres, et si les écailles lui étaient tombées des yeux comme à saint Paul, il le devait aux salutaires réprimandes que ne lui avait pas ménagées