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de son fils, il se ranima pourtant, et ce fut avec une espèce de sourire vague qu’il lui offrit comme autrefois sa cordiale poignée de main. — On ne vous voit donc plus décidément ? lui disait-il… Je comprends cela, moi… Maintenant que la jeunesse est partie, notre maison n’a rien de très gai ;… mais vous n’étiez pas d’ordinaire si longtemps sans me faire dîner avec vos camarades… Vous savez que j’aime leur entrain ; il me fait illusion, et j’oublie avec cette jeunesse que mes tempes grisonnent depuis longtemps…

Ronald, sans en rien laisser paraître, était profondément ému de cette gaîté factice et du contraste qu’elle offrait avec la physionomie éteinte, l’attitude accablée de ce vigoureux vieillard. Balbutiant à la hâte quelques justifications embarrassées, il ne songeait en réalité qu’à l’issue probable de cette rencontre fortuite. — Çà, mon brave, interrompit Kilsyth, vous avez bien une demi-heure à me donner ?… Eh bien ! si vous voulez, nous ferons un tour de parc,… là-bas, derrière ces gazons où personne ne nous dérangera, je vous le promets.

L’heure était venue où ces deux hommes allaient enfin toucher à la question qui depuis quelque temps les torturait l’un et l’autre. Ce ne fut pas du premier mot qu’elle fut abordée ; mais enfin après force détours, force circonlocutions, parlant toujours de la pauvre Maddy, Kilsyth en vint à laisser voir sa pensée. — Elle est aimante, disait-il ; son naturel, son éducation, tout a conspiré pour la rendre telle. Comme la lumière aux fleurs, comme l’air pur à nos cerfs d’Ecosse, il lui faut, à elle, une atmosphère d’affection. en bien ! Ronald,… ceci est un aveu que j’ai sur le cœur depuis plus d’un mois,… je doute,… Qui, je doute que cette enfant soit partagée à cet égard comme elle devrait l’être.

Ronald, moins effrayé de l’interpellation en elle-même que de l’accent avec lequel ces paroles étaient prononcées, voulut essayer de biaiser encore, — Il n’avait rien vu qui autorisât de telles craintes… Madeleine ne lui avait pas paru si changée…

— Oh ! n’essayez pas de me rassurer ! s’écria Kilsyth… L’enfant ne se ressemble plus,… et malheureusement je sais pourquoi.

Ici Ronald se sentit frissonner, de la tête aux pieds. — Je sais pourquoi, reprit son père… C’est que le bonheur intérieur lui manque… C’est que le mariage auquel on a voulu… l’amener, — j’atténue mes expressions, vous le voyez, — ce mariage n’a pas tourné comme il fallait. C’est que son mari, tranchons le mot, n’est qu’un misérable…

— Voilà une expression peu atténuée, remarqua Ronald, devenu plus froid à mesure que son interlocuteur s’exaltait… Cependant, si vous êtes certain de ce que vous dites, il y a des mesures à prendre… On peut montrer à M. Caird…