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comme un sombre diadème, les tresses lustrées de sa noire chevelure. Ce baiser froidement donné, froidement reçu, et que, — maintenant il se le rappelait, — elle avait négligé de lui rendre… — Au fait, se demanda-t-il, quand ai-je reçu d’elle sa dernière caresse ? — Et, chose étrange, il ne trouva pas de réponse à cette question.

Irrité contre lui-même, il tourna la clef dans la serrure, il entra… Tout était parfaitement en ordre, rien ne bougeait, rien n’attestait la vie. Les soins minutieux de mistress Prendergast avaient disposé les moindres détails de la façon la plus correcte. Sauf le léger bruit que firent les persiennes au moment où le couvrant d’air venu de la porte les ébranla, le silence était absolu.

Sous les longs plis blancs qu’une main amie s’était complu à régulariser, le corps immobile se discernait à peine. Le visage pâle, encadré par les dentelles de l’oreiller, penchait un peu de côté. Rien du reste ne trahissait encore les envahissemens du trépas. La face n’avait aucune rigidité particulière, et les longs cils noirs abaissés sur la naissance des joues semblaient l’avoir été par la main du sommeil. C’était bien la mort, mais la mort dépouillée de tout symptôme terrifiant, la mort calme et solennelle, dans sa grâce imposante. Wilmot regarda ces choses sans qu’une larme lui vînt aux yeux. Un léger frisson agita tout son corps, et, laissant retomber un des rideaux, il s’assit, la tête dans ses mains. Puis il s’interrogea, il s’interrogea loyalement, effrayé de ne pas ressentir une affliction plus poignante et plus profonde.

Il lui fallut bien reconnaître que les circonstances de cette mort imprévue entraient pour beaucoup plus que la mort elle-même dans les angoisses par lesquelles il passait. S’il eût pu se délivrer du remords que lui causait l’espèce d’abandon où sa femme était restée, s’il s’était trouvé près d’elle, à son poste de combat, lorsque tout lui commandait d’y être, il comprenait fort bien que sa douleur en eût été fort diminuée. Cette réflexion éclairait d’un jour singulier et nouveau pour lui tout le passé de sa vie conjugale. Encore ignorait-il toute la portée et les circonstances les plus tragiques de ce désastre. Il en savait assez pour entrevoir de combien de tendresse il avait sevré sa femme, de quelle indifférence elle avait pu l’accuser, avec quelle parcimonie il lui avait mesuré les témoignages de son affection. Son excuse, il pouvait l’invoquer en toute sincérité, c’est qu’il ne l’avait jamais su malheureuse ; mais quoi ? ceci tenait à ce qu’il ne l’avait jamais bien étudiée ni bien connue, autant vaut dire à ce qu’il ne l’avait jamais bien aimée. Pour la première fois de sa vie, cet homme si sagace, si pénétrant, devina qu’il pouvait bien exister chez les femmes et tout au fond de ce qu’on appelle leurs caprices un instinct spécial que l’indifférence froisse,