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parlement dans des articles où toute l’assemblée se reconnut en petit comme dans un miroir poli et ajusté par la main d’un des compagnons de Gulliver. L’indignation fut grande sur les bancs de la chambre des communes, et, prenant la défense de ce qu’elle appelait ses privilèges, elle punit les rieurs avec sévérité. Une lutte très vive s’engagea dès lors entre le parlement et la presse ; mais, grâce au courage de quelques publicistes, Cave, Woodfall et Perry, la cause du droit gagna chaque jour, du terrain dans l’opinion des Anglais éclairés. Aujourd’hui la loge des journalistes (reporters’gallery) forme dans l’une et l’autre chambre une des institutions parlementaires qu’on oserait le moins attaquer. Derrière cette loge se trouve même une chambre éclairée au gaz, dans laquelle les sténographes peuvent transcrire et arranger leurs notes. Ainsi que beaucoup d’autres libertés en Angleterre, celle de répandre au dehors et sous toutes les formes les débats de la chambre n’a jamais été reconnue par la loi, elle existe pour ainsi dire à l’état de sous-entendu ; mais qui oserait ici reprendre ce qui a été une fois conquis par le bon sens des masses ? Quel orateur songe en outre à s’offenser de ce que l’on publie ses discours ? Il se plaindrait bien plutôt de ce qu’on ne les reproduit point assez au long et de ce que les anciens privilèges de la chambre sont, sous ce rapport, beaucoup trop respectés dans sa personne. Le fait est que la plupart des franchises de la presse anglaise sont plus réelles qu’apparentes ; il faut moins les chercher dans des textes écrits que dans les usages, les mœurs et la force souveraine de l’opinion. N’est-ce point d’ailleurs là une garantie qui vaut bien toutes les autres ? Il y a des gouvernemens qui parlent tant des droits de la pensée et qui lui en reconnaissent si peu dans la pratique !

Pour être admis dans la galerie des étrangers, il faut un billet écrit à la main et signé par un des membres de la chambre. Muni de ce précieux autographe, le visiteur se rend vers trois heures au palais du parlement, où il traverse Westminster-Hall, la seule partie vraiment ancienne de l’édifice, fondée par Guillaume Rufus et hantée par tous les spectres de l’histoire d’Angleterre. Là Cromwell fut proclamé protecteur, là furent jugés et condamnés à mort Thomas Morus, Jane Grey, Essex, le favori d’Elisabeth, et Charles Ier. Ces souvenirs, la longueur de la salle, la nudité des voûtes, recouvertes d’un plafond en bois de châtaignier fermant une série de grands arceaux et de pendentifs, voilà tout ce qui frappe l’observateur jusqu’à ce qu’il arrive au pied d’un gigantesque escalier de pierre appuyé contre un mur plein dans lequel s’ouvre une vaste fenêtre en ogive et à vitraux coloriés. Il monte, et, tournant vers la gauche, il ne tarde point à se trouver dans Saint-Stephen’s-Hall, une galerie bordée de chaque côté par des statues en marbre blanc. A l’entrée