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anglaise, était devenu un foyer d’agitation assez dangereux non pour la tranquillité générale de la péninsule, mais pour la province de Peshawer et celle de l’Hazara, plus récemment occupée. D’ailleurs les Swatis de Baneyr et de Swat même, excités par les gens de Suttana, n’attendaient qu’un signe de l’akkond pour commencer les hostilités autour du Mahaban.

L’akhond, bien que fanatique et peu scrupuleux, avait assez de perspicacité pour comprendre que les Anglais pourraient, sur quelque provocation trop violente, envahir la vallée de Swat aussi aisément qu’ils avaient franchi en 1842 les passes de Khaïber, et s’y établir assez solidement pour que toutes les tribus réunies fussent impuissantes à les en expulser. Il tenait peu à voir pousser les choses jusque-là, et avait toujours usé de son influence pour faire respecter la frontière anglaise ; mais dans l’affaire de Suttana les esprits étaient si excités qu’il craignit sans doute de voir des énergumènes prendre à son détriment de l’influence sur la foule et l’entraîner malgré lui. Pour ne pas être dépassé, il favorisa un mouvement qu’il avait toujours ouvertement blâmé, et poussa les jeunes brouillons et les fanatiques de la vallée à marcher au secours de Suttana, en ce moment menacé par une division anglaise qui avait fini par se mettre en marche en décembre 1863.

Cette campagne n’avait qu’une issue possible. Les Anglais, au lieu de remonter le boyau effroyable où coule l’Indus au-dessous de Suttana et où des pâtres eussent suffi à les anéantir en roulant des quartiers de roc sur leurs têtes, prirent à revers la vallée de Baneyr par le col d’Ombeyla que l’ennemi défendit avec résolution (16 et 17 décembre). La colonne descendit sur Suttana, le brûla, dispersa les sectaires, et après ce coup bien frappé rentra dans ses cantonnemens. Les Suttanis se réfugièrent près de l’akhond et s’établirent sur un terrain qu’il leur loua à beaux deniers comptans ; mais l’an dernier ces émigrés, n’ayant pu payer leur redevance, ont été impitoyablement expulsés. L’apôtre s’est démasqué et a laissé voir le montagnard rapace.

La destruction de ce foyer de sédition, quoique avantageuse pour les Anglais, n’eut pas un grand effet moral, car l’année suivante, le lieutenant-gouverneur du Pendjab faisant avec une forte escorte la visite de la province de Peshawer et passant au pied des montagnes de Baneyr, les montagnards lui envoyèrent des coups de fusil du haut de leurs rochers. L’impatience d’arriver à une répression efficace a fini par faire naître une idée hardie, que l’épuisement actuel de l’Afghanistan rend aisément exécutable : c’est, du moment que l’émir de Kaboul est impuissant à faire la police de sa frontière orientale, de se substituer à lui en occupant la province