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démonté tous les ressorts, parce qu’on l’a soumis à une dissection impitoyable : on ne le connaît pas encore, on ne l’a pas vu vivre et agir. On se fait une idée inexacte de ses contemporains aussi bien que du passé. On procède comme l’auteur des Essais critiques : on grossit ce qui a passé sans laisser de traces ; on diminue des choses qui ont eu une importance véritable. De là les lacunes, les disproportions qui se font sentir souvent dans cette énergique et tranchante nature de penseur et d’observateur.

On a vu plus d’une fois sans doute des talens de forte trempe se jouer dans les systèmes sans y périr et se sauver à travers tout par ce qu’ils ont de vivace. C’est un peu, à vrai dire, l’histoire de M. Taine. Chez lui, le talent est visiblement supérieur au système et survit toujours, même dans l’inévitable déroute de quelques-unes des idées qu’il combine, qu’il déroule depuis plus de dix ans, dont il poursuit l’application avec une imperturbable assurance. Jusqu’ici on ne peut pas dire que sa vie d’écrivain ait été une vie de repos. Il a travaillé et produit beaucoup sans s’arrêter, sans prendre haleine en quelque sorte. Il n’a pas seulement multiplié ces essais critiques qui sont comme des développemens fragmentaires de sa pensée ; il a éclaboussé de sa verve la philosophie et ses contemporains dans les Philosophes français au dix-neuvième siècle. Quand il a voyagé, il a raconté ses voyages avec une fastueuse prodigalité d’images et de couleurs. Il a décrit les Pyrénées, où il était allé chercher la santé ; il a décrit aussi l’Italie, où il était allé chercher des impressions, des connaissances nouvelles, et il a déroulé ce vaste tableau, Rome, Naples, Florence, Milan, Sienne et Venise, je n’oserais dire avec un sentiment toujours exact, mais à sa manière, en homme qui crée, qui imagine en même temps qu’il voit, qui interprète fort librement ce qu’il observe. Professeur à l’école des Beaux-Arts, il a fait des cours qu’il reproduit dans tous ces livres qu’il appelle la Philosophie de l’art, la Philosophie de l’art en Italie, l’Idéal dans l’art. L’Ecrivain, il a mis la main à une des œuvres certes les plus complexes et les plus difficiles, celle d’une interprétation nouvelle de la civilisation anglaise par la littérature. Dans l’intervalle, il s’amuse avec la légèreté d’un homme qui vient de soulever des poids énormes et qui est accoutumé à l’effort.

A n’observer que l’apparence, il y a dans toutes ces œuvres qui se succèdent une vraie fougue de talent, une multitude d’idées ingénieuses sur l’histoire littéraire, sur la mystérieuse alchimie de la civilisation, sur la physionomie et le caractère des races ou des époques diverses. L’auteur se promène d’un siècle à l’autre, d’un pays à l’autre en homme aguerri à l’observation et à la réflexion, habitué à tout interroger, à tout scruter, à tout expliquer. Il sème sur son chemin les