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veux au moins signaler la théorie de l’amour divin, et je citerai ici les propres expressions de l’Éthique. « L’objet suprême de notre intelligence, dit-il, c’est Dieu, en d’autres termes l’être absolument infini, sans lequel rien ne peut être, ni être conçu, et par conséquent l’intérêt suprême de l’âme et son suprême bien, c’est la connaissance de Dieu[1]. » — « A mesure que l’essence de l’âme enveloppe une plus grande connaissance de Dieu, l’homme vertueux désire avec plus de force pour les autres le bien qu’il désire pour lui-même[2] » — Toute action dont nous sommes nous-mêmes la cause, en tant que nous avons l’idée de Dieu, je la rapporte à la religion[3]. — « Celui qui connaît les choses de cette manière (c’est-à-dire qui connaît-Dieu) s’élève au comble de la perfection humaine, et il est saisi de la joie la plus vive[4]. » — « Cette joie accompagnée de l’idée de Dieu comme cause n’est autre chose que l’amour de Dieu[5] » — « Ceci nous fait comprendre en quoi consiste notre salut, notre béatitude, en d’autres termes notre liberté, savoir dans un amour constant et éternel pour Dieu, ou, si l’on veut, dans l’amour de Dieu pour nous[6]. »

Sans doute il ne faut pas se faire illusion sur le sens apparent que ces passages semblent présenter à celui qui les lirait dans un esprit chrétien. Évidemment c’est dans un esprit tout à fait opposé à celui du christianisme, du moins très différent, que Spinoza parle ici de l’amour de Dieu. Ce n’est point non plus dans le sens du déisme philosophique, car il nie absolument toute personnalité divine ; mais il ne nie pas que Dieu soit l’infinie perfection, la perfection en tout sens : il affirme que le plus haut état pour l’âme est de s’élever à la conscience de cette souveraine perfection, d’en éprouver de la joie et d’y trouver son bonheur. Plus l’âme se nourrira de cette pensée suprême et vraiment consolante, plus elle accroîtra ses chances d’immortalité, plus il y aura en elle d’éternité, et c’est là la suprême béatitude. Or, à moins de supposer que ces paroles de Spinoza n’ont aucun sens, ou qu’il a voulu tromper ses lecteurs, deux suppositions inadmissibles, il me paraît impossible de confondre cette philosophie avec les doctrines du naturalisme contemporain.

Selon le naturalisme, tout dérive de l’expérience ; selon Spinoza, tout relève de la raison. D’un côté, on explique tout par la réduction

  1. Éth., part. IV, prop. XXVIII.
  2. Ibid., part. IV, prop. XXXVII.
  3. Ibid., schol. I.
  4. Part. VI, prop. XXVII.
  5. Part. V, prop. XXXII.
  6. Part. V, prop. XXXVI, schol.