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cela fût tenu secret, car il aurait été honteux, disait-il, que son action fût connue.

Puisque rien ne se fait sans salaire, quel est le salaire que les ouvriers espèrent recevoir en récompense des efforts qu’ils font pour devenir électeurs ? Les meilleurs d’entre eux, les plus intelligens, ceux qui gagnent le plus, sont déjà électeurs, et tous ces membres du parlement qui réclament la réforme électorale sont une preuve vivante de ce fait, que même en l’état actuel des choses les intérêts des masses ouvrières ne manquent pas de représentons. Faut-il penser avec M. Disraeli, avec M. Lowe, avec M. Bright lui-même, avant qu’il se fît l’avocat quand même du suffrage universel, que le droit d’élection accordé aux classes inférieures ne ferait qu’augmenter d’une façon démesurée la corruption électorale, cette hideuse maladie qui (les enquêtes parlementaires ne l’ont que trop démontré) attaque également les conservateurs et les libéraux ? S’il en était ainsi, l’augmentation du nombre des électeurs ne serait nullement un frein suffisant, et n’aurait d’autre effet que d’interdire l’entrée au parlement à tous ceux qui ne posséderaient pas une immense fortune ; mais, bien que l’espoir de se livrer en grand au commerce électoral puisse sourire à certaines fractions des aspirans au suffrage universel, nous sommes loin de penser que ce soit là le mobile qui fait agir la masse des ouvriers. Leurs intentions, qui se sont fait jour il y a quelques mois dans certains journaux, mais dont on ne parle plus guère maintenant de peur d’effaroucher le public, sont plus hautes et plus dignes d’attention. Les ouvriers ou leurs meneurs aspirent à se rendre maîtres des élections, d’abord pour se nommer eux-mêmes députés, — c’est la marotte des ouvriers d’aller s’asseoir au parlement, — et ensuite pour produire à la fois une révolution politique et sociale en Angleterre : révolution politique par l’avènement de la démocratie, qui deviendrait maîtresse absolue du pays, — révolution sociale à l’aide d’un nouveau système d’impôts qui ferait peser uniquement sur les classes supérieures toutes les charges du pays, et qui, au cri de guerre au capital, amènerait la ruine de la Grande-Bretagne. Derrière la démocratie, il y a dans le lointain la république, dont on parle discrètement, sans trop se cacher cependant, comme le prouve le drapeau des États-Unis d’Amérique, qui est toujours déployé dans Trafalgar-Square lorsque s’assemble le parlement des ouvriers.

Du reste, chez un peuple libre, ces luttes, ces agitations sont la vie du pays, et, pourvu qu’ils ne se servent que de moyens légaux, les ouvriers sont parfaitement en droit de réclamer tous les développemens des libertés électorales qu’ils croient utiles à leurs intérêts. Leurs moyens d’attaque sont connus, et dans leurs réunions