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par suite de l’initiative individuelle dont chaque pair, chaque député use à son gré, tout en Angleterre vient aboutir au parlement, et donne une physionomie particulière à ses discussions.

Ce n’est pas seulement par quelques détails de costume et de tenue que ces séances se distinguent de celles des assemblées politiques du continent. Une différence plus essentielle consiste en ceci : c’est qu’au lieu de ne traiter, comme en France, qu’un seul sujet à la fois, et de ne passer à un autre qu’après que le précédent aura été épuisé, les Anglais peuvent discuter successivement, dans la même séance plusieurs questions différentes, même sans en résoudre aucune. Il faudrait des pages entières pour enregistrer les titres, seulement des propositions de loi dont on peut s’occuper dans une même soirée à la chambre des communes. Pour ne citer qu’un seul exemple, pris au hasard, dans la séance du 11 mars dernier, pendant qu’à la chambre des pairs le comte de Shaftesbury présentait son singulier projet de loi au sujet du costume des pasteurs dans les églises, et que lord Russell bataillait avec lord Derby à propos de la réforme électorale, la chambre des communes avait à s’occuper, outre les pétitions, de vingt et une affaires différentes, telles que projets de loi, motions, interpellations, etc. Les Anglais savent ménager le temps et ne font guère de discours inutiles ; cependant ce n’est qu’en prolongeant souvent les séances fort avant dans la nuit qu’il leur est possible de suffire à tant de travaux.

La convention nationale, au moment où elle avait à se défendre contre l’Europe entière, rendit un jour un décret permettant aux Français de porter des culottes. En Angleterre, la chambre des communes, le même jour où elle aura examiné l’opportunité d’une expédition en Chine, devra s’occuper d’une loi sur les orgues de Barbarie où de la nécessité de défendre aux house-maids de monter sur l’appui des fenêtres pour laver les carreaux. Ainsi, par exemple, l’on s’attend à une discussion fort piquante le jour où l’on devra statuer sur une pétition présentée récemment, dans laquelle trois cents habitans de Southwark demandent l’abolition des lois qui punissent l’emploi de fausses mesures et de faux poids dans les boutiques. On assure qu’un des pétitionnaires, homme en apparence fort pieux, se servait d’une petite brochure religieuse collée sous un des plats de ses balances pour tromper ses pratiques. Malgré son excentricité, il est douteux que cette pétition excite l’hilarité avec laquelle elle serait accueillie sur le continent. Il n’est point de sujet oiseux ou ridicule. La gravité est sœur de l’impartialité : se départir de l’une ou de l’autre, serait manquer à ce fair play dont les Anglais sont si justement fiers. C’est ce même sentiment d’impartialité, poussé parfois, jusqu’à l’excès, qui a porté Macaulay à faire une sorte de panégyrique de Warren Hastings, et qui permet