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— Non ; il y en a trois ou quatre cents mieux qu’elle dans la bourgeoisie de Strasbourg.

— Je n’en sais rien ; mais elle a tant de grâces et d’esprit !

— Vous croyez ça ! et moi, qui suis son oncle, je vous réponds qu’elle est tout à fait ordinaire.

— Enfin si je l’aimais, monsieur Kolb, et si je la demandais en mariage à ses parents, croyez-vous qu’ils seraient offusqués d’une telle démarche ?

— Non, monsieur Marchai, ils en seraient flattés, et moi-même je suis très-sensible aux honnêtes choses que vous me dites, quoique ma nièce Adda (écoutez-moi) ne soit point une femme pour vous. Ne vous agitez pas, et causons comme deux personnes raisonnables. Vous pensez bien que nous ne sommes pas des aveugles dans la famille Kolb et que nous avons deviné votre penchant depuis plus de six mois. Nous savons même, s’il faut tout dire, que ma nièce, si elle s’en croyait, vous préférerait à beaucoup d’autres ; mais pourquoi ma belle-sœur et ma sœur et ma femme ont-elles toujours fait la sourde oreille lorsque vous vous plaigniez d’être célibataire, et que vous leur disiez d’un ton demi-sérieux : « Cherchez-moi donc une femme ? » C’est qu’elles ne pouvaient pas vous donner la réponse que vous espériez d’elles ; la famille a décidé, tout en vous estimant et vous aimant beaucoup, que ma nièce ne serait jamais Mme Marchal. Nous connaissons votre position, votre caractère et votre conduite ; nous sommes convaincus que vous rendrez une femme heureuse ; mais il y a deux raisons très— fortes et sans réplique qui m’interdisent l’honneur et le plaisir d’être jamais votre oncle. La première est relative à la religion : vous êtes catholique et nous sommes luthériens, et quoique mon frère ait béni bien des mariages mixtes, il ne doit pas, dans sa situation, donner l’exemple d’un tel compromis. Le voulût-il, ma vieille mère, que Dieu garde ! et qui est pour ses enfants comme une loi vivante, le lui défendrait formellement. Vous me direz que vous n’êtes guère plus catholique que protestant ; je le sais : vous pratiquez la religion universelle qui a pour temple le monde et pour culte le bien. Je suis à peu près sûr qu’il vous serait indifférent d’élever vos enfants dans telle ou telle confession ; mais votre tolérance n’écarte pas l’obstacle, et d’ailleurs il y en a un autre. Ma nièce est âgée de dix-sept ans et vous de trente-cinq ; vous avez donc le double de ion âge. A peu de chose près, vous pourriez être son père, car le chanoine n’a que trois ans de plus que vous. Je sais qu’aux yeux de bien des gens cette considération serait futile, que dans un monde un peu moins patriarcal que le nôtre votre mariage avec Adda paraîtrait irréprochablement assorti. Eh ! mon Dieu ! la prudence à la mode ne