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dénonciations indirectes des tiers, fondées sur la notoriété des titres. C’est ainsi qu’une première liste de quarante prétendans a été formée du dépouillement de deux cents demandes, et l’on peut évaluer à un nombre trois fois plus grand les inscriptions à comprendre dans un classement définitif.

Cet incident mérite d’être traité à part ; il touche plus qu’aucun autre aux généralités du sujet : c’est le bagage moral de cette masse d’exposans dont les produits d’industrie ou d’art forment le bagage matériel. L’occasion les a mis en demeure de fournir publiquement les preuves du bien volontaire qu’ils ont fait, et la plupart d’entre eux ne l’ont pas laissé échapper. L’enquête est ouverte, les dossiers sont soumis au jury mixte qui prononcera ; mais dès à présent, et sans intervenir dans les choix, il est permis de montrer quelles seront, dans cette affluence de postulans, les difficultés de la tâche et les précautions à prendre pour la conduire à bien, fût-ce incomplètement. C’est ce que d’abord j’essaierai de faire pour me placer ensuite à un autre point vue. Ce concours est évidemment l’histoire du patronage dans l’industrie depuis quarante ans, le témoignage des sacrifices que les chefs d’établissement ont multipliés sous diverses formes pour rendre la condition de l’ouvrier meilleure, sa santé moins précaire, sa vieillesse moins dépourvue. Or ce patronage si attentif, si actif naguère, survivra-t-il aux chocs et aux animosités qu’engendre sous nos yeux le libre débat du salaire ? S’il survit, à quels arrangemens nouveaux donnera-t-il lieu et quelles voies de conciliation pourra-t-il se frayer ? Ce sont là des questions qui ne manquent ni d’utilité ni d’opportunité,


I

Le concours ouvert devant le jury mixte a pour principal défaut de trop généraliser ; il embrasse beaucoup de choses, au risque de les mal étreindre. On dirait, à lire les documens qui l’instituent, une réminiscence de notre première révolution, qui jetait tout son feu dans les déclarations de principes et oubliait de leur donner une sanction. Rien de précis ni dans l’objet même du concours, ni dans les conditions d’admissibilité ; les pouvoirs du jury sont presque discrétionnaires. D’après les termes du décret, « un ordre distinct de récompenses est créé en faveur des personnes, des établissemens ou des localités qui, par une organisation ou des institutions spéciales, ont développé la bonne harmonie entre tous ceux qui coopèrent aux mêmes travaux et ont assuré aux ouvriers le bien-être matériel, moral et intellectuel. » Voilà un programme bien large, si large qu’il devient embarrassant. Cette harmonie et ce bien-être,