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vie, il ne fait nul étalage. A vouloir le montrer aux yeux sur la scène par des actions ou des paroles, on risque toujours de le trahir et de le dégrader, et le procédé le plus sûr est de s’en fier à notre mémoire. On a mis au théâtre Molière et Corrège, et quelles vies plus touchantes, quelles figures plus sympathiques que les leurs? Cependant la savante analyse et l’art consommé de George Sand, la fantaisie et l’enthousiasme d’OEhlenschlœger n’ont pu triompher d’une difficulté insurmontable, ou plutôt d’une insoluble contradiction. Entre ces hommes et nous, il n’y a pas de commune mesure et il existe un abîme que vous ne comblerez pas, celui du génie. Ne voulez-vous nous dévoiler en eux qu’un cœur accessible aux mêmes sentimens, pliant sous les mêmes épreuves, agité des mêmes orages que les nôtres, sans que nous voyions en même temps par où ils nous dépassent, vous les mutilez tristement et ne nous montrez du demi-dieu que la vulgaire et matérielle image. Essaierez-vous au contraire de nous présenter dans sa grandeur un de ces favoris du ciel qui ont reçu l’auréole, puisse cette audace vous tourner à bien! Mais, si tourmentée que soit leur destinée, et si semblable que vous la fassiez à la nôtre, nous ne pourrons pas les mettre à notre niveau; nous voyons trop clairement qu’ils ont des joies et des souffrances que nous ne connaissons pas, des obligations et des immunités qui nous sont étrangères. Prenez dans la foule obscure un être inconnu et médiocre comme nous, et pour peu qu’en lui nous reconnaissions un homme, notre sympathie lui est acquise, et nous sommes prêts à compatira ses faiblesses. Seulement gardez-vous de l’appeler Galilée, car alors l’attendrissement paternel qui le conduit à humilier son génie, au lieu de nous gagner, nous irrite, et ne nous permet plus de voir dans la famille qu’un joug malfaisant.

Le public, qui a aussi ses raisons, a passé par-dessus la langueur d’une action faiblement conçue, la vulgarité d’un ressort malencontreusement imaginé qui altère le fond même du drame, les disparates d’un style incertain entre la sécheresse didactique et le précieux de l’idylle, pour ne voir que les intentions transparentes de l’auteur et applaudir à l’opportunité de son choix. Ces préoccupations sont-elles sans péril au théâtre? Nous ne le prétendons pas ; mais à qui la faute si des prétentions d’un autre fige, des colères intempestives, le procès maladroitement fait à la raison, à l’examen, à la science, à tout ce qui est l’honneur et l’avenir de la société moderne, font trouver bon aujourd’hui qu’on rappelle à une autorité irritante la première humiliation qu’elle a subie dans la personne de Galilée? Nous ne pouvons voir de mauvais œil le public prendre plaisir à une audace devenue assez rare, celle de lui proposer dans une œuvre dramatique une pensée sérieuse. Il y a là un symptôme qui n’a rien d’alarmant, et qui se trouve singulièrement confirmé par la fâcheuse mésaventure de la nouvelle comédie de M. Barrière, représentée il y a quinze jours au Vaudeville.

Bâillemens et sifflets, tel est en deux mots l’accueil fait le premier soir à