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peuple nombreux, riche, actif, industrieux, a prospéré dans ces lieux presque déserts maintenant. Les preuves de sa grandeur et de sa puissance, on les voit non-seulement dans les livres indigènes dont on ne connaît encore qu’un trop petit nombre, mais surtout dans les ruines immenses, témoignages irrécusables de la splendeur du passé, que l’on trouve éparses sur divers points du pays. Quand il rencontre enfouis sous la végétation des tropiques ces restes d’une civilisation disparue, le voyageur habitué au spectacle des misérables cases où végètent les Cambodgiens de nos jours demeure stupéfait en voyant ce qu’ont été leurs ancêtres et ce que pourrait devenir le pays.

D’après l’exposé topographique qui précède, il est permis d’établir que le cours du Mékong se scinde en deux parties[1]. La première s’étend sur des espaces encore inconnus de l’intérieur de la Chine à la cataracte de Kong. A cet endroit, la chute des eaux interrompt la navigation; mais au-delà on poursuit sans obstacle sa route jusqu’à la mer. De Namvang, les produits indigènes se dirigent vers l’océan par l’un ou l’autre des deux bras indifféremment, et choisissent, pour effectuer leur sortie, soit une des nombreuses embouchures du fleuve, soit le canal de Hatien, qui, du bras de l’ouest, descend au golfe de Siam. Ainsi les établissemens situés sur la côte, s’ils veulent s’assurer le monopole du trafic de l’intérieur venant par la voie du Mékong, la seule ouverte, doivent enclaver dans leurs frontières toutes les embouchures des deux bras et le canal de Hatien, ou bien posséder Namvang et le cours entier de l’un des bras jusqu’à la mer. Des motifs de sécurité semblent même exiger que Namvang soit sous leur dépendance, car de ce point une attaque bien combinée peut, grâce au courant, être portée rapidement vers le sud. Il y aurait enfin quelque danger à laisser en dehors des frontières le grand lac et le bras de l’ouest, si un peuple plus puissant venait plus tard y remplacer les possesseurs actuels; mais on peut croire qu’en dominant, à quelque titre que ce soit, — possession, suzeraineté ou protectorat, — la partie du bassin du Mékong comprise entre la mer et la cataracte, on satisferait amplement à toutes les exigences. Une attaque par le fleuve ne serait plus à craindre. Le commerce exploiterait un territoire de près de huit mille lieues carrées dont il dirigerait à son gré les produits sur tel point à sa convenance par l’un ou l’autre des deux bras dont la navigation lui demeurerait également assurée.

En 1858, la France trouva cette partie du bassin comprise entre la

  1. Il ne faut pas oublier qu’au nord de Namvang le cours du fleuve est encore très mal connu.