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rés de leur suite, qui était fort considérable[1] ; mais après la déclaration de guerre de 1528, la défiance s’étant accrue avec l’irritation, ils avaient été séparés de tous leurs serviteurs, y compris leur précepteur et leur médecin, que l’on avait envoyés comme prisonniers dans diverses forteresses[2]. Transportés eux-mêmes à Pedrazza de la Sierra, au milieu des montagnes de la Castille, les jeunes princes y étaient entourés d’Espagnols, la plupart grossiers soldats que commandait le capitaine don Pedro de Peralta. Ils y étaient sous la surveillance soupçonneuse de don Inigo de Tovar, marquis de Berlanga, devenu, après la mort du vieux connétable de Castille son père, l’un des gardiens des enfans de France, avec son frère aîné, le nouveau connétable don Pedro Hernandez de Velasco. Personne n’avait pu pénétrer jusqu’à eux, et toutes les tentatives faites pour avoir de leurs nouvelles n’avaient servi qu’à accroître la rigueur de leur isolement. Dans l’été de 1529, pendant que s’engageaient les négociations de Cambrai, Bordin, huissier de la régente Louise de Savoie, fut envoyé en Espagne pour les visiter de la part de leur père et de leur aïeule, et savoir comment ils étaient traités. Quoiqu’il eût obtenu un sauf-conduit de l’empereur, Bordin n’avait pénétré qu’à grand’peine dans la forteresse de Pedrazza. Après d’assez longs pourparlers, le marquis de Berlanga avait permis qu’il y entrât, et l’avait mené lui-même auprès des princes français.

Bordin trouva le dauphin et le duc d’Orléans dans une chambre très obscure et tout à fait nue. Ils étaient assis sur de petits sièges de pierre, près d’une fenêtre pratiquée dans une muraille épaisse de huit à dix pieds, garnie au dedans et au dehors de grosses barres de fer, si élevée qu’il en descendait à peine quelques faibles clartés et un peu d’air. « C’étoit un lieu, dit l’huissier, à peine bon pour y détenir de grands criminels et bien malséant et malsain pour des personnes d’une aussi haute condition et d’un âge aussi tendre que mes seigneurs[3]. » Ils y étaient assez pauvrement vêtus. « En les voyant ainsi, continue Bordin, je ne pus retenir mes larmes[4]. » S’étant découvert, il s’approcha respectueusement du dauphin et lui transmit en langue française les paroles affectueuses et rassurantes dont l’avaient chargé le roi et la duchesse d’Angoulême. Il l’instruisit des conférences de Cambrai, où

  1. Elle se composait de soixante-huit personnes. «Mémorial de la manera que se repartieron los Franceses à las fortelezas. » Archives de Simancas, série D. liasse 7, n° 6.
  2. Lettre du connétable à l’empereur, du 28 janvier 1528. — Ibid., s. D., L 7, n° 11.
  3. « Informacion del uxer Frances que vino a visitar el Dolfin y Duque de Orliens por mandado de la regenta de Francia. » Archives de Simancas, s. B, 1. 2, n° 40 s.
  4. Relation de l’huissier Bordin.