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Bien que toujours observée de fort près, comme elle ne fuyait plus les occasions de se rencontrer avec le marquis, ils se voyaient chaque semaine une fois ou deux, et certain jour de printemps, sous les futaies de Vincennes, on aurait pu suivre de l’œil nos trois amis, qui, s’étant rencontrés là par un hasard des plus favorables, cheminaient, devisaient tout à leur aise. Mlle de *** se laissa bientôt devancer de plusieurs pas, et il est à croire qu’après quelques minutes d’un entretien qui n’avait pas l’air de languir, M. de Fresne en vint à certains propos dont s’effaroucha son aimable compagne, car elle se retourna vivement vers l’obligeante personne dont elle avait quitté le bras, et, se rapprochant d’elle, la mit bon gré mal gré en tiers dans un dialogue devenu embarrassant. Les messages écrits ne chômaient point, et M. de Fresne a protesté depuis lors que jamais il ne vécut dans un pareil état de pleine félicité. Ceci est peut-être hasardeux à répéter quand il s’agit de deux personnes engagées dans les liens du mariage, et qui semblent en voie d’oublier l’une et l’autre, ce qu’on doit à la foi conjugale; mais que voulez-vous? si la morale a ses droits, la vérité historique revendique les siens, et les concilier n’est point toujours la plus facile chose du monde.


III.

Ce coche poudreux qui franchit sans trop de hâte sur la grand’route de Meaux la distance de Paris à Claye mène M. et Mme de Novion dans leurs terres. Le leste équipage de chasse qu’ils rencontrent à mi-chemin est celui du marquis de Fresne, venu au-devant d’eux pour supplier les voyageurs de faire halte dans cette noble demeure dont subsiste encore de notre temps un pavillon formant jadis la chapelle du château. Contre ces courtoisies plus ou moins désintéressées, le mari se défendait de son mieux, la dame gardant, et pour cause, une neutralité absolue. Cependant, alors que la situation devenait embarrassante, — car le marquis de Fresne levait une à une avec une ingénieuse persistance toutes les objections de l’intraitable petit homme, — la belle voyageuse se plaignit d’une indisposition qui coupait court au différend. Il fallut se rendre, et quand la malade jugea bon de quitter le lit, il était trop tard pour songer à fournir la traite d’abord projetée. Profitant de la longueur des jours en cette saison, le maître du logis eut encore le temps d’organiser une chasse durant laquelle il comptait bien se ménager à la dérobée quelque heureuse rencontre; mais tous les soins qu’il se donna pour parler sans témoins à Mme de Novion furent inutiles : elle était observée de trop près, et ni durant le sou-