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bataille rangée, 120 combats; 80,000 ennemis tués, 91,000 faits prisonniers; 116 places fortes ou villes importantes prises, dont 36 après siège ou blocus; 230 forts ou redoutes enlevés; capture de 3,800 bouches à feu, 70,000 fusils, 1,900 milliers de poudre, 90 drapeaux! » En descendant de la tribune, Carnot sortit du comité de salut public. Un mois après, il passa chef de bataillon à l’ancienneté; il était capitaine du génie et chevalier de Saint-Louis avant la révolution.

Ce qu’il n’avait pu décrire dans ce discours d’adieu, c’était le noble et mâle tempérament de cette armée victorieuse. Par son exemple, par l’esprit qui inspirait ses actes, Carnot n’avait pas peu contribué à développer dans tous les rangs les vertus civiques et militaires. Pour faire un emprunt à la phraséologie de l’époque qui a gâté tant de choses, mais qui ne sonnait pas toujours faux, il avait mis à l’ordre du jour le courage, l’abnégation, le désintéressement.

Certes je ne parle pas des hordes dont les excès prolongeaient la guerre civile à l’intérieur et faisaient succéder la chouannerie à l’héroïque Vendée. Kléber, Marceau, les vrais soldats que les chances de leur carrière avaient rendus quelque temps témoins de ces horreurs, s’arrachaient, dès qu’ils le pouvaient, à ce hideux spectacle, laissant le champ libre, hélas! à l’inventeur des colonnes infernales et à cet autre que je ne veux pas nommer, qui tuait les femmes après les avoir violées. Au contraire, parmi ceux qui repoussaient l’invasion, l’humanité avait reparu avec les vertus guerrières : les soldats se refusaient au métier de bourreau, laissaient fuir le plus souvent les émigrés qui leur tombaient dans les mains; les généraux, malgré les plus terribles menaces, ne tenaient plus compte des ordres de la convention qui frappaient de mort les commandans des garnisons laissées dans quelques-unes de nos places par les coalisés en retraite; Moreau, en promulguant le décret qui défendait de faire quartier à aucun Anglais ou Hanovrien, ajoutait : « J’ai trop bonne opinion de l’honneur français pour croire qu’une telle prescription soit exécutée[1], » et elle ne fut pas exécutée. C’étaient les seuls cas où l’on se permît de violer la loi, car ces armées que nous avons vues au début, valeureuses assurément, mais impressionnables, méfiantes, sujettes aux paniques, souvent en révolte, étaient devenues solides, subordonnées. La discipline avait cessé d’être tracassière et blessante; elle était ferme, sévère au besoin dans les cas rares où la répression devenait nécessaire. Je lisais récemment le journal tenu en 94 par un habitant des bords

  1. Le représentant du peuple Richard était alors en mission à l’armée du Nord. Lorsqu’on lui apporta le livre d’ordre où Moreau avait inscrit de sa main ce hardi commentaire : « C’est bien dangereux pour nous, » dit-il, et, prenant une plume, il mit son paraphe à côté de la signature du général.