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autres femmes, soignent ici les marins, selon l’expression de l’un d’entre eux, avec toute la tendresse et toute la dévotion du cœur. Un des caractères de l’institution est qu’elle ne se débarrasse point de ses hôtes dès que les premiers symptômes du mal ont été vaincus ; elle les garde au contraire pendant toute leur convalescence. Où le matelot en effet, cet homme qui n’a point de maison à terre ni de toit pour le couvrir, irait-il recouvrer ses forces ? Je sortis du Dreadnought avec un sentiment d’admiration pour la charité anglaise, mais en même temps avec une impression triste et pénible : ne venais-je point d’entrevoir un des côtés les plus sombres de la vie du marin ?

De l’état de malaise et de souffrance dans lequel se trouve au-delà du détroit une des branches vitales de la fortune publique, il ne faudrait point tirer des conclusions trop sévères. La marine anglaise est dans un état de transition ; elle se renouvelle. Et peut-il en être autrement ? Le matériel de construction lui-même est changé ; la vapeur a en grande partie détrôné la voile, et donne aujourd’hui des ailes aux vaisseaux de fer. L’homme fait les machines, mais à leur tour les machines modifient la nature et le caractère de ceux qui les gouvernent. Ces navires métalliques, forts de toutes les découvertes de la science, ont des capitaines et des officiers taillés à leur image, corrects, méthodiques, polis et froids sous l’armure. Les matelots eux-mêmes ne constituent plus du tout comme autrefois une classe à part. L’instruction a déjà pénétré jusque dans les vaisseaux et rayonnera de plus en plus sur les mers, où se confondaient autrefois l’ignorance et l’héroïsme. Ce n’est plus en jurant et en méprisant les hommes de terre que le matelot anglais montrera désormais sa supériorité vis-à-vis de ses concitoyens. À mesure que s’élèvera le moral du personnel, ne deviendra-t-il point en même temps nécessaire de modifier le code maritime et de respecter chez le matelot la dignité humaine ? Que les Anglais conservent dans le dockyard de Portsmouth, comme dans une sorte de musée, les reliques de leurs victoires ; qu’ils montrent avec orgueil aux étrangers de vieux navires de guerre dont les noms se rattachent à autant d’actions célèbres, rien de plus naturel ; mais ces antiques foudres de guerre ne sont plus que des ombres, et un peuple vraiment fier ne vit point de souvenirs. C’est en rompant au contraire sur certains points avec ses vieilles traditions maritimes, c’est en suivant avec courage le courant du progrès, que l’Angleterre rappellera bien mieux au monde ses anciens titres de gloire.

N’y a-t-il point d’un autre côté, pour la marine marchande de la Grande-Bretagne, une haute mission sociale à poursuivre ? Ses navires, qui touchent à toutes les extrémités du monde, ramènent