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ravages. Il fallut pressurer le royaume, redoubler de violence pour trouver des hommes et de l’argent; il fallut enfin remettre Luxembourg à cheval, il fallut remercier la bonne étoile du ministre qui lui avait amené Catinat sous la main.

Librement, audacieusement interprétées par ces deux capitaines illustres, au lieu d’être prises au pied de la lettre par MM. d’Humières, de Lorges ou de Duras, les instructions parties de Versailles donnèrent d’autres résultats : Staffarde et Fleurus, noms chers à la France, furent ajoutés à la liste de nos victoires (1690). Ce furent les dernières joies de Louvois. Il mourut l’année suivante, écrasé par le travail, par les soucis, par le poids d’une responsabilité énorme. On ne lui épargna pas la haine, et il la méritait, car il avait infligé de grands maux; mais les clameurs dont le concert poursuit encore sa mémoire ne sont pas toutes de bon aloi : aux cris de douleur des huguenots déportés, des peuples foulés, des provinces dévastées, se mêlent les calomnies des intrigans évincés, des grands seigneurs froissés, des fripons pourchassés. Il fut aussi regretté, car il n’eut que des successeurs médiocres, et l’on se figurait que, s’il eût vécu, bien des calamités eussent été épargnées à la nation. Plus que personne cependant il avait contribué aux malheurs du règne. Il avait compromis par sa politique intérieure et extérieure les résultats de son administration. En poursuivant la chimère de l’unité religieuse, il avait troublé l’union de la patrie. Bien plus que l’engouement jacobite, bien plus que la querelle de la succession d’Espagne, ses usurpations et le mépris qu’il affichait de tous les droits avaient soulevé l’Europe contre nous, et si Louis XIV, vieillissant, employa des « généraux de goût, de fantaisie, de faveur, » s’il se laissa prendre trop souvent à u l’air admirant, rampant, plus que tout à l’air du néant devant lui, » ce fut la conséquence des habitudes créées par son ministre d’état. Le despotisme étouffant, partout introduit, avait abaissé le niveau des hommes, brisé les ressorts individuels; mais au milieu de tant d’erreurs Michel Letellier avait donné à l’armée une si forte charpente, il avait entouré notre frontière factice d’une si solide barrière, que la fureur de nos ennemis se brisa contre la résistance de la France. Les institutions de Louvois ont donné à Louis XIV et à Villars le moyen de repousser l’invasion. C’est ce que nous ne pouvons oublier.


II.

Louvois avait créé l’armée royale. Carnot constitua l’armée nationale. Nous n’avons pas à juger les actes de sa vie politique; notre tâche se borne à rappeler ses services. Il donna la base la plus large à nos institutions militaires, mit en pratique des prin-