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tour d’un philosophe en France depuis de longues années. Il y a des spiritualistes, où sont les éclectiques? Mais sans être enchaînés dans les liens de l’école, sans jurer sur. les paroles du maître, ne peut-on admirer impunément l’étendue et la puissance de cette intelligence et surtout cette prodigieuse activité qui jusqu’à la dernière heure d’une longue vie n’a connu que deux passions, celle du travail et celle de la pensée? En vérité, si nous ne défendons pas cette dernière grandeur, celle de l’esprit contre la barbarie, que nous restera-t-il donc à honorer?

Je finis comme j’ai commencé. Il n’y aura plus de longtemps peut-être de ce grandes autorités de doctrine ou de talent qui s’imposaient à toute une génération, qui étaient comme d’éclatantes lumières placées sur des hauteurs, et de là rayonnaient sur de vastes régions intellectuelles, sur des parties entières d’un siècle. Avec le zèle égalitaire qui règne là même où la nature ne l’a pas établi, dans l’ordre des intelligences, je doute fort qu’il s’établisse de nouveau quelqu’une de ces souverainetés consenties par l’admiration du public et par le respect des écrivains. J’ai tâché de faire comprendre les causes diverses de cette révolution, désormais accomplie. Ces causes sont la frivolité des goûts, l’absence de sérieux et de foi littéraire, par conséquent de noble curiosité et d’enthousiasme, et, dans les régions du monde où l’on pense encore, la contradiction absolue qui sépare les hommes en politique, en religion, en philosophie, le morcellement et la dispersion des opinions à l’infini, qui empêchent les grands talens (s’il y en a encore) de faire reconnaître leur supériorité et de fonder un établissement durable sur ce sable mouvant, sur cette poussière d’idées sans cohésion et sans ciment, parmi cette population croissante d’écrivains sans études et sans pensée, acharnés à détruire ce qui s’élève par ses propres forces de la même main qui chaque jour édifie des réputations fantastiques.

Eh bien ! sachons accepter les conditions nouvelles de la vie intellectuelle, telles qu’elles sont, sans illusions et sans découragement. Chacun de nous n’aura plus à compter que sur lui-même. Soit : qu’il ne compte que sur lui, qu’il renonce à l’appui extérieur qu’il pouvait trouver pour le développement de son talent ou de ses idées dans ces grandes autorités disparues. Qu’il s’habitue à vivre au milieu de la lutte et sans autre force que celle qu’il tirera de ses convictions personnelles. C’est une de ces situations, comme il y en a souvent dans l’histoire, amenées par de regrettables circonstances, et dont il est possible de tirer parti pour son perfectionnement et son progrès. — Et si nous avons besoin absolument d’un appui extérieur à notre faiblesse, si nous ne nous sentons pas assez fortement trempés pour affronter seuls les grandes luttes phi-