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vait paraître plus juste que de restituer aux villes leurs terres et leurs temples, qui leur avaient été enlevés par Constance ; mais depuis tant d’années ces temples étaient devenus des églises, et comment pouvait-on, sans amener de sanglantes collisions, rétablir avec pompe une idole sur l’autel qui avait porté le corps de Jésus-Christ ? Comment rendre aussi aux sectes chrétiennes naguère opprimées leurs sanctuaires usurpés ? L’équité même du prince faisait naître partout des conflits, tant la situation était embarrassée et les intérêts enchevêtrés par plusieurs révolutions religieuses. Qu’on ajoute à cela l’imprudence héroïque des chrétiens renversant les idoles, les cris contre les magistrats, même quand ils ne faisaient que punir une témérité illégale et sacrilège, la révolte des villes entières démolissant les temples, et l’on comprendra combien le rétablissement du paganisme tenté par la main la moins tyrannique pouvait jeter de trouble dans le monde. La plus vive souffrance du pouvoir absolu doit être de se sentir impuissant. L’impatience de Julien devait être d’autant plus vive qu’il s’était fait une loi de ne pas la répandre en caprices, qu’elle était contenue et comme emprisonnée par sa justice même. Il vint un jour où il n’eut plus la force de se tenir renfermé dans sa modération. Attaqué sans cesse par des chrétiens spirituels et éloquens, qui en l’outrageant lui-même outrageaient en même temps ses dieux, et qui dans leurs pieux pamphlets se servaient des armes empruntées à la philosophie, l’empereur philosophe lança l’étrange édit qui défendait aux chrétiens d’enseigner les lettres profanes, sous prétexte que « celui qui enseigne une chose à ses disciples pendant qu’il en pense une autre, celui-là est aussi éloigné de faire un bon maître qu’un honnête homme… Interprétez Mathieu et Luc… Contentez-vous de croire et cessez de vouloir connaître. » Cet acte tyrannique, qui décèle la mauvaise humeur et le dépit d’un sophiste, fut avec raison blâmé par les païens mêmes ; mais combien ne devons-nous pas nous défier de nos jugemens sur une époque troublée, quand nous voyons que cette mesure détestable fut applaudie par les chrétiens rigides ! Ils disaient que la métaphysique et la fable étaient dangereuses, qu’en effet les âmes vraiment fidèles devaient se renfermer dans la foi et dans les limites de la science chrétienne. À leurs yeux, Julien faisait acte de sagesse souveraine en ramenant le christianisme à la pureté de l’enseignement apostolique. Quand on songe aux violences des règnes précédens, on est tenté de remarquer la modération relative de cette mesure vexatoire et de juger avec quelque clémence cette coupable erreur d’esprit. Avons-nous tous d’ailleurs le droit de nous montrer sévères, et n’avons-nous pas entendu autour de nous, il n’y a pas plus de