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justes : « S’il est possible de guérir par une opération sage les maladies du corps et les maux de l’âme, les erreurs sur la nature de Dieu ne peuvent se détruire ni par le fer ni par le feu? » Il dit ailleurs dans ses lettres : « J’ai résolu d’user de douceur et d’humanité envers tous les Galiléens et de ne pas souffrir qu’aucun d’eux soit nulle part violenté, traîne aux temples, forcé par de mauvais traitemens de faire quelque chose qui soit contraire à sa façon de penser... Je ne veux pas, par tous les dieux, que l’on frappe les chrétiens sans droit ni justice. Leur erreur est de croire avec une insolence barbare que le Dieu véritable est inconnu à tout autre qu’eux. » Cette dernière phrase méprisante semble garantir la sincérité du reste. Les faits vinrent d’ailleurs confirmer les paroles. Non-seulement Julien ne persécuta point, mais il arrêta les persécutions des chrétiens contre les chrétiens; il autorisa les exilés orthodoxes à rentrer dans leurs foyers. On peut dire qu’à l’avènement de Julien le christianisme, naguère horriblement divisé, put enfin respirer. Maintenant que l’empereur, comme on se plaît à le dire, ait accordé la plus entière liberté de conscience parce qu’il savait que les chrétiens, une fois libres, se déchireraient, selon le mot de saint Athanase, comme des bêtes féroces, c’est un reproche que nous n’oserions faire, parce qu’il risque de retomber plus lourdement sur les chrétiens que sur le prince. Qu’aux représentans des sectes chrétiennes présens à sa cour, et qu’il invitait à la concorde, il ait dit avec la hauteur familière d’un souverain et la malice d’un homme d’esprit : « Suivez mes conseils, les Allemands eux-mêmes et les Francs s’en sont bien trouvés, » c’est là un détour aussi innocent que spirituel pour déclarer qu’il saurait au besoin imposer la paix aux esprits. On oublie toujours une chose, c’est que Julien, à supposer qu’il ne fut pas hostile aux chrétiens, n’avait pas à tenir une autre conduite. Tout ce qu’on pouvait lui demander, c’était de pacifier l’empire, de ne pas tourmenter les dissidens. La religion chrétienne ne devait pas avoir de privilège, elle n’était pas plus que le paganisme religion d’état, on pourrait dire qu’elle l’était moins; elle n’avait droit qu’à une protection égale, et il était assurément généreux à un prince si dévotement païen de la lui accorder en termes explicites, qui devenaient un engagement d’honneur plus facile, il est vrai, à prendre qu’à tenir.

M. de Broglie a le tort, selon nous, de soupçonner sans cesse les bonnes intentions de Julien et de voir partout des persécutions dissimulées. Quand le nouvel empereur, pour réparer de justes griefs, et cédant aux cris du peuple longtemps opprimé, livre aux tribunaux des hommes détestés, M. de Broglie suppose que Julien les livre avec empressement parce qu’ils étaient chrétiens. Si Julien