Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 68.djvu/16

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

eût voulu ouvrir la porte des honneurs militaires à la bourgeoisie aisée et la fermer aux nobles trop ignorans. Il essaya même d’une institution qui aurait joué le rôle de nos écoles militaires, et il créa des compagnies de cadets, dont il rendit l’accès facile. On y apprenait les détails du métier, les manœuvres, les mathématiques. Le temps manqua au ministre pour développer cette idée et en soigner l’exécution, les résultats furent nuls et les compagnies licenciées; mais une sorte de noviciat fut imposée à quiconque voulait devenir colonel, et la naissance n’en exemptait personne : pour parvenir à ce grade, il fallait avoir servi au moins deux ans dans un des corps qui étaient présentés comme des types et dont le roi s’était réservé le commandement direct, — le régiment d’infanterie qui portait son nom, et sa maison militaire.

La transformation de la maison du roi est l’une des conceptions les plus ingénieuses de Louvois. Cette troupe n’était pas réduite à de simples devoirs d’escorte et d’antichambre; elle fut portée à 4,000 hommes environ, alors que 800, malgré le luxe de la cour, suffisaient à la garde du souverain. C’était à la fois une cavalerie d’élite, une pépinière d’officiers et une institution qui remplaçait les derniers débris de l’organisation féodale. L’arrière-ban avait été réuni une seule fois sous Louis XIV, et semblait n’avoir été appelé que pour faire constater son impuissance. On vit une sorte de cohue mal montée, à peine armée, incapable d’obéir ou de combattre, et qu’il fallut bien vite licencier. Dans l’ordre militaire, ce fut la fin de l’ancien régime, et pour lui donner le coup de grâce Louvois remplaça l’obligation du service, base et seule justification des privilèges nobiliaires, par une mesure fiscale, par une sorte d’exonération. A ceux qui préféraient payer de leur sang, la maison du roi fut ouverte : ils se firent mousquetaires, gardes-du-corps, gendarmes. On n’était pas bien sévère sur les preuves à fournir pour l’admission dans ces corps, dont l’un même, celui des grenadiers à cheval, se composait d’anciens soldats ; patriciens et plébéiens y étaient unis par une confraternité d’armes complète et touchante. La maison du roi ne conserva pas tous les caractères que Louvois avait voulu lui donner; mais jusqu’à la fin de sa carrière elle se signala par tous les genres de courage. Les mêmes brillans jeunes gens qui avaient enlevé Valenciennes en plein jour par un trait d’audace inoui gardaient leur poste à Senef avec le stoïcisme des guerriers les plus éprouvés. « O l’insolente nation! » s’écriait le prince d’Orange en voyant à Neerwinde la ligne des escadrons rouges et bleus onduler sous les boulets qui la frappaient et serrer ses rangs sans reculer. A Steenkerke, les mêmes compagnies décidèrent la bataille, et quand vinrent les mauvais jours, à Malplaquet, elles traversèrent dans une charge les trois