Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 66.djvu/918

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus bref dans la réponse à quelques autres qu’il nous faut encore examiner.

Dans quelle partie de l’Allemagne la légende héroïque de Siegfrid-Sigurd a-t-elle reçu la forme qu’elle a conservée essentiellement à travers ses nombreuses variantes ? On comprendra que cette question doive se poser, tout en se rappelant que la légende se greffa sur un mythe généralement répandu parmi les peuples germains. Au milieu des versions multiples et multicolores qu’une sage (légende) populaire reçoit dans de telles conditions, il est de règle qu’il y en ait une qui l’emporte sur les autres par l’éclat, par la beauté dramatique, par la supériorité politique et guerrière du peuple qui la propage, et qu’elle tende dès lors à éclipser ses sœurs, à peu près comme dans la religion de l’ancienne Grèce la personnification du ciel brillant sous le nom de Zeus ou Jupiter obscurcit et même supplanta en bien des lieux les cultes similaires de Saturne, de Cœlos et de Cronos. Quant au sujet qui nous occupe, c’est un grand avantage de retrouver la légende héroïque des Nibelungen pleinement épanouie dans deux régions aussi distantes que la Scandinavie et l’Allemagne du sud. Le poème allemand que nous lisons aujourd’hui et qui, selon toute vraisemblance, a été rédigé au commencement du XIIIe siècle, dans la période brillante des Hohenstaufen et de la poésie chevaleresque, a dû faire son apparition au sud du Mein et probablement près du Danube. Le dialecte est souabe ; l’auteur est inconnu, circonstance à noter et qui laisse déjà supposer qu’en publiant son épopée il ne produisit rien d’absolument nouveau. Si donc nous retrouvons dans l’extrême nord une tradition foncièrement semblable à celle qu’il a développée dans ses vers, il est bien à croire que la source commune des deux courans traditionnels doit être cherchée dans une région intermédiaire. Et en effet, d’après les chants scandinaves, Sigurd est un homme du Rhin, et c’est aussi des bords du Bas-Rhin, du Nîderland, que le poète allemand fait venir son Siegfrid, à l’époque où les Burgondes occupaient la partie moyenne de ce fleuve. Ce n’est là du reste qu’un indice remarquable entre bien d’autres qui concourent à fonder l’opinion de Grimm, de Lachmann et de M. de Laveleye, qui voit dans la sage de Sigurd-Siegfrid une tradition essentiellement franque[1]. Des bords du Rhin, où les Francs eurent

  1. La différence du nom scandinave et du nom allemand s’explique à merveille, par le vieux néerlandais Segefred, Segevert, qui, contracté, est devenu Sigurd dans le nord, Stvart en Danemark, Siegfrid dans l’Allemagne du sud. Observez que des deux formes du vieux néerlandais viennent aussi les deux formes françaises Sigefroy et Sigebert. Il est aussi parlé dans un document latin d’une tribu franque distinguée par le nom de Franci Nebulones.