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mêlés tout à coup aux rangs saxons, et les oui ! oui ! vive le roi ! vive la Prusse ! étouffèrent les protestations. « Pendant qu’on procédait ainsi avec les simples soldats, ajoute le maréchal, les princes, les généraux, les personnages les plus considérables de l’armée prussienne ne rougissaient pas d’employer les moyens les plus indignes pour s’emparer de nos officiers. Flatteries et insultes, promesses et menaces, tout leur était bon. » — Oui ! même les menaces, ja, selbst Drohungen, — écrit le maréchal indigné ; mais soit qu’il n’ait pas tout vu, soit que la pudeur ait arrêté sa plume, il s’en faut bien qu’il nous donne ici l’entière image de la vérité. D’autres témoins ont achevé sa peinture. Après la scène burlesque des vivat, il y a la scène odieuse des coups de poing et des coups de canne ; la comédie vandale est complète. « Voici ce que j’ai vu de mes yeux, écrit le général de Vitzthum : quand un de nos Saxons hésitait à répéter le serment que lui marmottait un auditeur, les soldats prussiens tombaient sur lui à poings fermés. Le prince Ferdinand, frère du roi, et le prince Maurice d’Anhalt se sont distingués entre tous par leur zèle à enrégimenter nos soldats, donnant la schlague à quiconque faisait mine de résister. Le roi, le roi lui-même s’est assez peu respecté pour frapper de sa canne un jeune gentilhomme porte-enseigne au régiment de Crousatz, et ajoutant l’injure à la brutalité, « tu n’as donc, criait-il, ni ambition ni honneur dans le ventre, puisque tu refuses d’entrer au service prussien ? »

Est-ce assez d’indignités et de violences ? Pas encore. Il avait été stipulé dans la capitulation d’Ebenheit que le roi serait libre de retourner à Dresde ou d’aller en Pologne, que la reine et les princesses ne seraient plus traitées en prisonnières, qu’elles pourraient sortir du château et y rentrer, qu’elles ne seraient plus gardées par des sentinelles prussiennes… Promesses dérisoires ! la captivité de la malheureuse reine ne cessa qu’avec sa vie. Le roi Auguste s’était rendu en Pologne, tandis que la reine était demeurée à Dresde, et, confiant dans la parole de Frédéric, il demandait instamment que des stations de houlans fussent établies à travers la Prusse pour la sûreté des communications entre la Pologne et la Saxe. Sous prétexte que la capitulation de l’armée saxonne n’avait pas été loyalement exécutée, que des agens secrets débauchaient les régimens saxons et les faisaient passer en Bohême, Frédéric entra dans une de ces colères qui servaient si bien sa politique, et déclara qu’on ne devait plus compter désormais sur sa modération. Sa lettre, écrite le 2 décembre au général de Spoercke, représentant du roi de Pologne, se termine par ces effrayantes paroles :