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marquez marquez bien d’ailleurs qu’un prêtre détaché ou émancipé perd immédiatement de son importance, comme action pratique. Le père Passaglia, ancien théologien du saint-siège, s’est annullé le jour où il a quitté Rome pour Turin, et ce qu’il y a de plus curieux, c’est qu’à Turin même il n’a eu qu’une popularité éphémère; il a fini par se perdre dans l’obscurité. Ce parti dont je parle, il faudrait le chercher plutôt dans une multitude d’hommes qui sont un peu partout, même au sacré-collège, parmi les ecclésiastiques de Rome, surtout dans les ordres religieux. Ceux-là, et ils sont plus nombreux qu’on ne croit, commencent à croire que l’heure de l’inflexibilité absolue est passée. Quoique prêtres, ils n’ont pas moins, en certains momens, la fibre italienne. Ils ne sont nullement insensibles à cette idée d’une Italie définitivement affranchie des dominations étrangères, devenant une puissance imposante et pesant dans les conseils de l’Europe. Ils ne cachent plus ces sentimens, et, si des sacrifices sont nécessaires, ils les acceptent d’avance. Ils sont les adversaires, souvent passifs, quelquefois efficaces, du parti contraire, jésuite ou étranger, dont la résistance est le mot d’ordre, et ces luttes que voile la contenance impassible et correcte du cardinal Antonelli, ce dernier type de la diplomatie pontificale, ce dernier abbé romain aux mœurs élégantes, au sourire froid, au regard perçant et impénétrable, — ces luttes vont se résoudre dans l’âme de Pie IX, le plus sincère et le plus séduisant des pontifes.

Il sera peut-être le dernier pape-roi, comme disait Cavour; mais du moins, au milieu de ces épreuves qu’il porte avec la bonne humeur d’une verte vieillesse, il garde je ne sais quel mélange de sereine ingénuité, de vivacité et de douceur qui donne à sa physionomie une originalité singulière. Il parle avec une facilité abondante, avec gaîté, avec abandon et souvent avec esprit. Le trait caractéristique de Pie IX, c’est une inaltérable confiance au milieu des crises actuelles de la papauté. Il ne croit point du tout aux moyens humains. Il a, comme il le disait dans une circonstance, par-dessus la tête des interventions étrangères. Qu’on lui laisse des troupes ou qu’on les retire, qu’on lui donne dix mille hommes ou cinq cents hommes, cela lui est à peu près indifférent, et il a toujours cru que la France avait plus d’envie de rester à Rome qu’il n’avait envie de l’y retenir. Un jour, à l’époque où on lui faisait une armée et où M. de Mérode organisait des zouaves, le pro-ministre des armes avait fait équiper quelques deux mille hommes, belges, autrichiens, etc. ; il voulut les montrer au pape et passer une revue dans la cour du Vatican. Pie IX se présenta en effet à la fenêtre, regarda cette troupe, puis, se tournant malicieusement vers le pro-ministre des armes, il lui dit : « Donc c’est avec cela que nous allons reconquérir nos provinces! » M. de Mérode avait perdu ses peines.