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minuer la circulation de ceux dont on était moins satisfait. À la pratique, il se trouva que l’ensemble de cette mesure était à peu près inexécutable. Elle avait donné lieu dès l’abord à des incidens singuliers, quelques-uns presque comiques. Les évêques des contrées voisines de son département ayant, par leurs mandemens de carême, permis aux habitans de leurs diocèses l’usage des alimens gras pendant certains jours de la semaine, le préfet de l’Aveyron se plaignit très haut qu’une pareille faveur n’eût pas été accordée à ses administrés. Il en était diminué à leurs yeux. À toute force, il voulait obliger l’évêque de son département à concéder quelque chose, sans quoi il n’approuverait pas le mandement. M. Portails fut forcé d’intervenir pour calmer le préfet de l’Aveyron, et de déployer sa plus belle prose pour lui expliquer qu’il se mêlait d’une chose qui ne le regardait pas. Tous ces conflits entre les évêques et les préfets tendaient à devenir embarrassans ou ridicules. On fut donc obligé, pour couper court aux divisions doctrinales trop choquantes qui éclataient entre les préfets, érigés tout à coup en professeurs de droit canon, de mettre chaque évêque sous la censure exclusive du préfet de sa résidence. Plus tard, M. Portalis, qui n’avait guère été consulté dans cette affaire, intervint pour protéger les évêques contre les empiétemens des subordonnés de son collègue, le ministre de l’intérieur. La censure des évêques fut transportée des bureaux particuliers de chaque préfet au bureau central de Paris, qui agissait sous l’œil du premier consul et plus tard de l’empereur. Peu à peu elle trouva de moins en moins à s’exercer, sans doute parce que l’administration de M. Portalis était plus avisée, mais aussi parce que, le temps et leur soumission aidant, il n’y avait plus rien à reprendre dans les mandemens des évêques. Les employés de la direction des cultes ne restèrent pas toutefois absolument inoccupés ; leurs fonctions n’avaient fait que changer. Ils envoyaient dans les grandes occasions aux prélats particulièrement zélés, avec les bulletins qu’il leur fallait lire à l’église, des canevas de mandemens tout faits, qui ne couraient aucun risque de déplaire, et auxquels il ne restait plus qu’à mettre la forme et la couleur ecclésiastiques[1].

Par ce même canal, les évêques étaient continuellement invités, surtout dans les départemens de l’ouest et en Belgique, où les populations suivaient volontiers les impulsions du clergé, à appuyer et à faire appuyer par les curés de toute l’influence de leur ministère la loi sur la conscription. En même temps qu’on leur défendait d’aborder en chaire, d’aussi loin que ce fût, aucun sujet politique, on leur enjoignait non moins expressément de bien expliquer à leurs

  1. Vie de Mgr Osmond, évêque de Nancy, par l’abbé Guillaume.