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les alliés étaient superbes d’espoir et de jactance : c’est au pas de course, c’est au galop de leurs chevaux, que les soldats de Mitre, de Florès et d’Osorio devaient s’élancer à la conquête des pays convoités. Lorsque après avoir pendant des années travaillé sourdement contre l’indépendance de Montevideo, rivale de Buenos-Ayres, le président Mitre fut enfin obligé par le Paraguay de jeter le masque et de se ranger ouvertement du côté des Brésiliens, on eût dit qu’il prenait la foudre en main, tant on s’empressait autour de lui à célébrer son prochain triomphe. « Nous venons de décréter la victoire, » s’écria-t-il en déposant la plume qui venait de signer le traité d’alliance avec le Brésil. « Dans les casernes aujourd’hui, demain en campagne, dans trois mois à l’Assomption ! » telle était la fière parole que les admirateurs du général Mitre avaient entendue tomber de sa bouche. Depuis ce jour, où le succès semblait si facile à obtenir, plus de seize mois se sont écoulés, pendant lesquels bien des combats ont été livrés et bien des milliers de vies sacrifiées inutilement. Les dates que de temps en temps on se permet de fixer d’avance pour la prise de l’Assomption doivent être de plus en plus espacées à cause de difficultés imprévues. Le général Urquiza, qui devait, à la tête de ses cavaliers, frayer la voie aux armées du Brésil et de Buenos-Ayres, s’est bientôt retiré prudemment à l’arrière-garde, puis est revenu dans sa riche estancia pour se faire le grand fournisseur de vivres des alliés et leur vendre à lourds deniers le bétail et les céréales. Non-seulement l’Assomption n’est pas tombée dans les trois mois aux mains des alliés, mais, bien que de nombreuses dépêches aient souvent annoncé la destruction complète des forces paraguayennes, ni le général Mitre ni l’amiral Tamandaré n’ont encore pu tourner un seul de leurs canons contre les murs de la forteresse d’Humayta, qui défend l’entrée de la république. L’unique conquête des allies est celle de l’Estero-Bellaco, savane humide pendant la saison des pluies, poudreuse pendant les sécheresses, mais entourée en toute saison de marécages d’où sort la fièvre, bien plus terrible que les boulets. Jusqu’à présent, le président Mitre, même accompagné de 30,000 Brésiliens, semble devoir être encore moins heureux que le général Belgrano dont il s’est fait l’historiographe, car ce héros, qui tenta vainement de conquérir le Paraguay pour le soumettre à la couronne de Ferdinand VII, alla du moins se faire battre aux portes de l’Assomption.

Ce n’est pas que dans leur défense les chefs de l’armée paraguayenne aient toujours été d’habiles stratégistes[1]. Au contraire, Ils ont commis des fautes graves ; mais ces fautes, provenant surtout

  1. Nous renvoyons le lecteur à la livraison du 15 septembre 1866, qui renferme une étude où sont racontés tous les événemens de la campagne jusqu’après la bataille de Tuyuti.