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défendre dans le monde nouveau les mêmes principes que la France de 89, qu’était-elle devenue ? Le satellite de la Russie et de l’Autriche. Chose singulière, le vieil empire d’Allemagne, si hardiment ébranlé par Frédéric le Grand et qui était tombé en 1806 sous les coups de Napoléon, semblait se reconstituer sous une autre forme au profit des Habsbourg. Le cabinet de Vienne dirigeait la politique de Berlin, et le successeur de Frédéric le Grand obéissait aux inspirations de la chancellerie impériale comme s’il n’eût été qu’un margrave de Brandebourg. Le génie de la Prusse n’abdiquait pas cependant. Quel essor de la pensée publique durant cette triste période ! Jamais on ne vit une foi plus grande dans les travaux de l’esprit, jamais un recueillement plus loyal ; c’est la période héroïque de l’université de Berlin. D’un côté, un peuple fidèle à ses traditions, obstiné à sa tâche, gardant comme un trésor le double héritage de la réforme et du XVIIIe siècle, de l’autre un gouvernement qui semblait avoir peur de son drapeau, voilà le spectacle que de 1815 à 1830 la Prusse a donné à l’histoire.

Même situation, plus douloureuse seulement, pendant les dix années qui suivent. La révolution de juillet avait eu son contre-coup au-delà du Rhin. Parmi les petits états de la féodalité germanique, les plus obstinés défenseurs de l’ancien régime avaient dû céder devant la volonté des peuples. Le libéralisme reprenait confiance. Généreuse agitation, frappée bientôt de stérilité ! Les passions révolutionnaires compromettent toujours les œuvres légitimes de la révolution. Que produisirent ces mouvemens soulevés par un malaise trop manifeste ? Ce qu’ils produisent partout quand ils ne sont pas réglés par une direction intelligente et forte. L’anarchie des idées, la violence des entreprises, fournirent des armes aux ennemis de la liberté. Toutefois, si un des gouvernemens de l’Allemagne avait essayé de donner satisfaction aux désirs qui travaillaient le pays, on n’aurait vu ni la fête de Hambach en 1832, ni l’émeute de Francfort en 1833. Ce pouvoir directeur invoqué par tous les esprits ardens, libéraux ou démocrates, c’était la Prusse ; la Prusse fit défaut à leur appel. L’homme d’état célèbre qui usait alors les plus rares qualités dans une lutte incessante contre la société moderne, M. de Metternich, avait décidément entraîné le cabinet prussien dans son cercle d’action. On voyait bien de temps en temps reparaître l’esprit libéral qui demeure toujours, quoi qu’on fasse, la tradition secrète, le tempérament intime de l’état organisé par le grand Frédéric ; lorsque les sept professeurs de Goettingue, en 1837, protestèrent contre les violences du roi de Hanovre, où trouvèrent-ils un refuge ? A Berlin. C’était une belle occasion d’affirmer aux yeux de tous le caractère de la Prusse ; Frédéric-Guillage III la saisit noblement, heureux