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puis rentrait au logis, où mistress Cameron le recevait de son mieux, sûre pourtant d’être battue dès les premières vingt-quatre heures ; mais elle y était faite, et son homme lui tenait encore au cœur. L’enfant, sur ce lit de fange, poussait comme une plante, sans que personne y prît garde. Quelques haillons pendaient après elle, mais ses pieds étaient nus, et sa tête semblait très suffisamment garantie par ses longs cheveux bouclés. La nuit, on la laissait s’endormir ; le matin, on lui ouvrait la porte. A cela, pendant les cinq premières années, se bornèrent les soins maternels. Quand elle eut cinq ans, on la trouva paresseuse de ne pas grandir plus vite ; sa mère, je ne sais comment, se heurtait toujours à elle, et finissait par la pousser du côté de la rue. Elle rentrait invariablement trop tôt, surtout lorsqu’en rentrant elle avait faim. Les reproches alors commençaient. « Il faut se rendre utile à ses parens ; il faut demander aux gens bien vêtus. » Et pour rendre la leçon plus complète on la prêtait à ces imposteurs qui promènent dans les rues une famille d’emprunt, stimulant la charité publique par cet indigne stratagème. Encore n’était-elle pas des plus mal partagées. On lui apprenait la mendicité, mais non le vol : scrupule remarquable chez mistress Cameron, qui connaissait tous les sacripans de la ville, et dans l’occasion leur prêtait, moyennant prime, une assistance indirecte, prudemment ménagée ; mais elle les méprisait au fond, et ne voulait pas que sa fille fût dressée à leur ignoble métier.

Là par exemple s’arrêtait son étrange sollicitude, car si la clientèle abondait, si la place manquait sur le plancher, on poussait Jane dehors, sans, s’inquiéter de ce qu’elle deviendrait. L’hiver elle trouvait asile chez quelques voisins charitables. L’été simplifiait la situation ; l’enfant se blottissait sur les marches de l’escalier, au grand mécontentement des survenans, — policemen ou voleurs, — qui buttaient dans l’obscurité contre cet obstacle imprévu. Un seul couple honnête et laborieux vivait dans la New-Vennel, sous le même toit que mistress Cameron, un fabricant de nattes nommé Macvee et sa femme, Leur porte n’était jamais fermée à Jane, qui s’étonnait de les voir travailler du matin au soir, mais surtout de ce que l’homme, assermenté par le père Matthews, ne buvait jamais que de l’eau. Il était dominé, comme maint Écossais, par certaines idées religieuses plus ou moins hétérodoxes, puisées dans son propre fonds, et qu’il avait fini par faire entrer tant bien que mal dans le faible cerveau de sa pâle compagne. Le soir donc Macvee et sa femme donnaient abri à l’enfant abandonnée, qui s’endormait à la chaleur de leur foyer, en les regardant avec stupeur prolonger leur veillée opiniâtre. Le matin, ils la mettaient à