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la Charente où tout respire et chante l’amour. Ma destinée est dans ses mains ; quoi qu’il arrive, sa volonté sera la mienne, mon cœur battra où battra le sien, et nous nous aimerons en dépit du monde entier !… »

Tandis que Maurice écrivait ces lignes, Lucile pensait à lui et se sentait l’âme remplie d’une émotion délicieuse. L’épanouissement de l’amour dans un cœur jeune est une fête charmante. Elle éprouvait une sorte de féerique éblouissement. Le soir, quand tout dormait, elle allait s’asseoir sur la terrasse ; elle aspirait lentement l’air tiède de la nuit et jetait un long regard sur l’horizon étendu devant elle : — au ciel, un fourmillement d’étoiles ; sur la terre, un clair-obscur à travers lequel on entrevoyait les formes adoucies des arbres et des coteaux ; dans l’air, un parfum de chèvrefeuille et de jasmin. La nature était imprégnée d’une volupté suave. Lucile oubliait le lieu et l’heure, il lui semblait qu’elle voyait devant elle s’entr’ouvrir les portes d’or d’un monde enchanté. Elle écoutait avec ravissement le cri d’un petit grillon qui murmurait dans le jardin, puis elle se souvenait des moindres mots de Maurice, et elle prenait plaisir à se les chanter à elle-même en suivant la rustique mélopée du grillon. Les enivremens de son cœur lui montaient alors aux joues en rougeurs subites, comme la séve monte en mars dans les jeunes oseraies et les empourpre.

Dès le lendemain de son entretien avec Maurice, elle s’était occupée du mariage de Simonne. La jeune fille, qui, au fond, se sentait attirée vers Sylvain Jacquet, fut facilement convertie à l’idée de rompre avec Chantepie. Quant à M. Désenclos, après avoir fait d’abord une vive résistance et longuement plaidé la cause de son protégé, il finit par céder devant la volonté persistante de sa femme et le désir nettement exprimé de Simonne. Quelques jours après, Jacques Chantepie vint à la brune chercher une réponse définitive et trouva le cueilleux d’herbes et Lucile sous les platanes du jardin. Jacques les salua de son air gauche et farouche, et sans parler interrogea du regard M. Désenclos. Ce regard anxieux remua profondément le maître des Palatries ; il comprit que le moment était venu de faire connaître courageusement la situation au prétendant évincé, et après avoir donné à Jacques une cordiale poignée de main il lui annonça tristement qu’il fallait renoncer à Simonne. Jacques regarda le botaniste sans desserrer les lèvres, recula de quelques pas et s’appuya contre un arbre.

— Ah ! dit M. Désenclos, que cette douleur muette touchait de compassion, j’ai bien fait ce que j’ai pu ; mais quoi ? Simonne ne t’aime pas.

— Mais je l’aime, moi ! s’écria Chantepie, et il mit dans ce cri