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pour l’art italien vers les dernières années du IVe siècle, comme, près de quatre siècles et demi plus, tard, après Charlemagne, l’aurore d’une civilisation imprévue s’éteint et disparaît dans les ténèbres qui s’appesantissent de nouveau sur le monde. On pourrait dire de la longue période qualifiée à tort ou à raison de byzantine[1]. Que malgré tant de travaux accomplis, malgré sa fécondité somptueuse, elle ne réussit en somme qu’à installer officiellement, à légitimer la barbarie, et que, loin d’ouvrir à l’art des horizons nouveaux, elle le circonscrit et l’emprisonne dans le champ clos de l’imitation banale, dans le cercle étroit des règles, des formules, des recettes, une fois transmises ou imposées par autrui.

Singulier contraste d’ailleurs ! l’art byzantin ne commence qu’auprès que les persécutions contre les chrétiens ont cessé, et jusqu’à la fin il gardera une physionomie irritée, je ne sais quel aspect de colère vengeresse et de menace, comme s’il s’adressait aux ennemis de la foi plutôt qu’aux âmes qui la possèdent, ou qu’il s’agit de persuader. On dirait que ces colossales figures du Christ, aux yeux hagards, au visage respirant une sévérité implacable, que ces apôtres ou ces saints rangés aux côtés du Sauveur moins pour adorer sa présence que pour surveiller et tenir en effroi ceux qui ont franchi le seuil de l’église,, on dirait que toutes ces images idéales n’ont d’autre objet, que de personnifier le courroux humain et de nous

  1. La prédominance de l’élément oriental dans les œuvres d’art appartenant à cette époque est-elle en effet si absolue que le titre sous laquelle on a coutume de les classer en résume exactement l’esprit et les caractères. Sans doute, par la forme des costumes, par le goût et le choix des ornemens, les mosaïques et les peintures exécutées alors en Italie attestent l’influence des exemples importés de l’Orient. Ne saurait-on pourtant sous ces habitudes acquises, sous cette imitation matérielle du style byzantin, entrevoir au moins dans les premiers siècles, un certain fonds d’idées ou de traditions latines ? Ne faudrait-il pas surtout, en ce qui concerne les siècles suivans, tenir compte des peuplades venues du nord et de l’empire, exercé par elles ? Ce prétendu art byzantin ne pouvait se continuer sans modification après les invasions successives des Goths et des Huns, des Vandales et des Hérules. Ce n’est plus lui qu’on retrouve à Ravenne pendant l’éclair de civilisation qui y brille sous le règne de Théodoric, en Lombardie sous Luitprand, en Sicile même et à Venise aux époques qui nous ont légué les décorations siculo-normandes de la cathédrale de Monréale et les équivoques mosaïques de Saint-Marc. Ce n’est plus lui enfin, c’est un mélange sans nom d’ignorance et d’archaïsme, c’est un amalgame des principes et des moyens pratiques les plus contraires qui défraie, jusqu’aux premiers symptômes de la renaissance, l’industrie pittoresque en Italie. Le mot byzantin, dont on se sert pour désigner dans l’histoire de l’art le temps intermédiaire entre l’antiquité et le XIIIe siècle, est donc, à vrai dire, un terme de convention. Comme le mot gothique, improprement appliqué à l’architecture de tous les édifices du moyen âge antérieurs au XVIe siècle, il comporte en réalité une signification différente de celle qu’on lui attribue ; mais l’usage l’a consacré, et faute d’un autre, il faut bien l’employer quand on aborde les questions qui nous oocupent.