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LES SEPT CROIX-DE-VIE.

horrible pli ; il lui sembla qu’elles étaient encore tièdes. Martel peut-être venait seulement de sortir de cette chambre. Où le trouver ? où le poursuivre ? La nuit tombait. Violante jeta l’enveloppe sur le parquet et la foula aux pieds ; les pleurs l’étoufifaient, des sanglots, des cris sortaient de sa poitrine. Martel, Martel ! ingrat, implacable pour lui-même et pour les autres comme tous ces Groixde-Vie, et fou, plus fou cent fois qu’eux tous ! Voilà donc le devoir sacré qu’il avait voulu remplir ! Par ce testament, il enrichissait sa femme ; mais il lui reprenait sa vie, un bien qui était à elle, qu’il lui avait donné par serment. Elle s’élança vers la porte pour appeler du secours ; mais non !… S’il était temps encore de le sauver, lui, eL d’arrêter sa main, qui donc serait plus fort qu’elle ? Elle mit son mouchoir devant sa bouche de peur que, rencontrant quelque serviteur de Groix-de-Vie, il ne vînt à saisir ses sanglots au passage, et d’un regard chercha le ciel. Ge regard ne rencontra que les voûtes écrasantes de cette demeure funeste. Violante n’en marcha pas moins d’un pas ferme. Où allait-elle ? Où la guidait le premier instinct de son cœur, vers ce lieu si cher à Martel où dix ans entiers il avait agité ses pensées comme des torches funèbres, où il avait vécu devant les portraits de ses terribles ancêtres, en compagnie de leurs fantômes, — vers cette triste galerie du nord où la nuit même de leur mariage il s’était encore enfermé, cherchant contre l’amour et la raison et contre le salut qu’ils apportaient un dernier refuge, s’efforçant de puiser un suprême réconfort dans la dure opiniâtreté de son orgueil. G’est là qu’il était sans doute, — là qu’il a dû retourner, se disait— elle, s’il n’a voulu que me fuir. — Mais depuis trois mois Martel l’avait en vain priée d’entrer dans cette partie du château qu’elle détestait, jamais elle n’avait voulu y consentir ; à peine en connaissait —elle le chemin. Elle allait, poussée par son courage, elle se perdait dans ces salles immenses où la nuit devenait épaisse, et le temps s’écoulait. En entrant dans la salle des gardes, elle reconnut pourtant dans T ombre la cheminée colossale et les chevaliers de pierre que souvent elle avait entendu décrire comme une des gloires de Groix-de-’ie. Quelles gloires !… Elle approchait donc de la galerie, mais elle s’égara encore une fois, et, cherchant à se guider avec la main le long de la muraille, rencontra l’encadrement d’une porte, puis au milieu le mur nu. Elle savait aussi qu’il devait y avoir là une porte murée, et que derrière était ce qu’on nommait au château la chambre des morts. Elle recula, les plis d’une tapisserie l’enveloppèrent, elle la souleva et vit devant ses yeux une longue enfilade de croisées qui versaient le dernier reste du jour. C’était la galerie du nord ; mais si Martel n’y était point !