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d’Eutyches, et à Sentrius Fortunatus, ses enfans très pieux, qui ont souffert le martyre du feu, leur mère Eulogia a élevé cette tombe. Que celui qui peut tout nous donne le rafraîchissement, refrigeret nos qui omnia potest ! » C’est là peut-être le monument le plus ancien de la foi chrétienne dans la Gaule. Il rappelle un martyre dont les histoires religieuses n’ont pas gardé le souvenir. M. Le Blant le croit du temps de Marc-Aurèle. Quelques autres inscriptions, qui ne sont pas datées non plus, peuvent être rapportées au IIIe siècle ; mais elles sont rares, et l’on peut dire en somme qu’il en est très peu qui soient antérieures à Constantin. N’est-ce pas la preuve que la conversion de la Gaule était alors assez récente ? Il n’est certainement pas vraisemblable qu’une religion établie depuis trois siècles aurait laissé d’elle aussi peu de souvenirs. Ainsi l’épigraphie donne raison à l’opinion de Sulpice Sévère, elle condamne les mensonges des histoires locales et les récits merveilleux des traditions, elle achève de nous convaincre que le christianisme a triomphé beaucoup plus tard chez nous que ne l’affirment les légendes.

Cette question n’est pas la seule dans l’histoire de l’établissement du christianisme en Gaule sur laquelle l’épigraphie puisse donner quelques lumières. Elle permet aussi d’intervenir dans un débat qui a fait autrefois beaucoup de bruit et que le temps n’a pu qu’assoupir sans le vider. Il s’éleva au Ve siècle une querelle très vive entre Arles et Vienne au sujet de la primatie. Les conciles et les papes furent consultés et ne parvinrent pas à mettre les parties d’accord. Chacune des deux villes prétendait avoir précédé l’autre dans la foi, et quand les argumens sérieux manquaient, on ne se faisait pas faute de recourir aux fraudes pieuses. L’épigraphie, si on l’interroge, se décidera pour Arles sans hésiter. Arles possède des monumens chrétiens bien antérieurs à ceux de Vienne. Quelques-unes des inscriptions qu’on y trouve ont un grand air d’antiquité ; la simplicité, le naturel, la correction du style rappellent les meilleures époques. Elles sont précédées de l’ancienne formule des catacombes : « la paix avec toi ! » Mais ce qui indique encore mieux l’âge de ces monumens, ce sont les bas-reliefs qu’ils portent. On ne travaillait pas ainsi au temps de Constantin. Il y avait encore en ce moment quelques architectes : l’architecture est le dernier art que Rome ait désappris ; il n’y avait plus de sculpteurs, et pour orner un arc de triomphe on était obligé d’en détruire un autre. On peut affirmer par exemple que ce Christ qu’on voit sur une des tombes d’Arles, et auquel l’artiste a donné l’attitude et le geste d’un orateur de l’ancienne Rome, ne peut pas être du IVe siècle. On n’aurait pas su exécuter non plus à cette époque ces orantes si chastes, si pieuses, si belles encore avec